Les habitants de Wuhan peuvent désormais sortir de chez eux. Pourtant la peur d’une résurgence du Coronavirus est toujours là et le comportement des consommateurs chinois ne montre aucun signe de normalité.
Atlantico.fr : Le gouvernement chinois espère que les citoyens retourneront dans les magasins pour étancher leur soif de shopping pour booster l’économie mais cela ne se passe pas comme prévu. Contrairement au boost de consommation attendu les consommateurs dépensent moins leur argent et préfèrent épargner. Est-ce dû à la peur d’une seconde vague ? Doit-on s’attendre à un comportement similaire en Europe lors du déconfinement ?
Jean-Paul Betbeze : Déconfiner peut signifier décompresser, pas surconsommer. Des inquiétudes vont demeurer, un temps, sur les produits consommés, avec sans doute moins de produits frais, de viandes fraiches, venant notamment d’animaux sauvages. Un temps d’inquiétude et de soupçon va peser. L’offre va s’adapter, avec des produits cuits, préparés, et la demande avec peut-être moins d’achats dans les marchés. On peut ajouter que la peur d’une deuxième vague va jouer, poussant à des achats de produits en conserve ou surgelés. Bien sûr, tout ceci dépendra des niveaux de vie, on peut penser ainsi que les classes moyennes seront plus longtemps réservées pour dépenser et plutôt épargnantes.
Le même processus va se retrouver en Europe avec le déconfinement : conserves, surgelés, pâtes, moins de viandes, non seulement pour des raisons de revenu en baisse, ou prévu en moindre croissance, mais aussi d’inquiétude. Le retour à la « normale » aura d’autant moins lieu que l’offre va interpréter les inquiétudes du public : plus de produits d’origine française, peu élaborés, traçables.
Le carnet de commandes des entreprises chinoises s’amenuise de jour en jour malgré la sortie de crise et un plan de relance important n’arrive pas à rattraper cela. Comment l’effondrement de l’économie mondiale affecte-t-il les entreprises du pays ?
Jean-Paul Betbeze : Ce qui se passe en Chine, comme partout, est un double effondrement : de l’offre (arrêt des usines) et de la demande (confinements et pertes de revenus liées à des licenciements, chômages partiels ou prolongés, chute des demandes d’emploi pour les jeunes…). Le plan de relance chinois ne suffira pas à relancer l’offre et la demande en Chine, puisque la relance de l’offre dépend de bons de commandes américains ou européens, bloqués ! Le double écroulement de l’offre et de la demande se retrouve être interdépendant. C’est parce que l’économie mondiale s’effondre partout qu’elle ne peut repartir que par l’offre et par la demande, chez chacun, et en même temps. C’est bien pourquoi il faut partout soutenir les entreprises, avec des crédits et des aides publiques, et les ménages, avec notamment des mesures de soutien au chômage partiel. Partout les banques centrales sont indispensables, Fed et BCE aux États-Unis et en zone euro, pour aider les banques à financer les entreprises et les ménages et pour acheter des titres de la dette publique, en relâchant les limites. Ceci sans oublier les banques internationales, FMI, BERD, Banques de développement en Afrique ou en Asie.
La consommation intérieure a représenté plus de 58% de la croissance du pays en 2019 et le pays comptait là-dessus pour passer d’une économie d’exportatrice à consommatrice ? Comment la crise du coronavirus a-t-elle changé les plans du gouvernement chinois ?
Jean-Paul Betbeze : La Chine épargne beaucoup, ce qui lui permet d’investir et surtout d’exporter. Et exporter, vers les États-Unis et l’Europe lui a permis de croître. Mais aujourd’hui, ses clients se rendent compte qu’ils sont trop dépendants d’elle, et elle trop dépendante d’eux. On va rechercher, ici et aux États-Unis, de rapprocher et de maîtriser des activités essentielles, autrement dit de détricoter une part des échanges mondiaux. La Chine le sait et va tenter de ralentir le processus et de régionaliser plus de ses ventes externes et d’augmenter sa demande interne, ce qui veut dire d’augmenter les salaires. Il faut bien prendre en compte les limites, difficultés et temps indispensables à ces redécoupages, plus l’argent et les emplois nécessaires. Le gouvernement chinois va devoir freiner ses « routes de la soie », par manque de ressources et du fait des crises des pays où il entendait les installer. Peut-être est-ce temporaire, mais la Chine va sans doute renforcer son pourtour. Il n’est pas sûr que les États-Unis la laisseront faire (mer de Chine) : les nouvelles discussions internationales seront plus tendues. Quant à la zone euro, il lui faudra trouver une autre démarche stratégique que son gentil « Pacte vert ».
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