Comment la finance peut-elle contribuer à la sortie de crise?

- Ecrit par

Comment la finance peut-elle contribuer à la sortie de crise?

 

Une transfusion de fonds propres : de l’épargne des ménages vers les entreprises pour les restructurer et réussir la reprise

La France s’endette plus, parce que ses entreprises gagnent moins… depuis longtemps. Et rien ne s’améliorera si on ne profite pas intelligemment de l’excès d’épargne, liquide, des ménages qui est né de la crise du Covid-19 pour atténuer la difficulté actuelle. Alors seulement, les entreprises pourront investir plus et remonter la pente. D’ou notre proposition : un compte spécial, jusqu’à 10 000 euros, hors impôt pendant dix ans, pour organiser la transfusion, depuis les comptes bancaires des ménages vers les fonds propres des entreprises.

 

Que se passe-t-il vraiment, depuis longtemps ?

Pas assez de profit. L’excèdent brut d’exploitation des entreprises françaises est de l’ordre de 30% de leur valeur ajoutée, contre 35 à 37% en Allemagne. Cette vérité élémentaire, bien cachée et qui peut déranger, ne fait qu’augmenter, de crise en crise, nos difficultés et qu’accroitre le ≪ décrochage français ≫. Tout vient de ces 5% de valeur ajoutée (au moins) qui manquent et qui font empirer ici la croissance et l’emploi, en plein milieu de la révolution industrielle, de la crise des subprimes et de la concurrence Chine Etats-Unis.

Les chiffres sont pourtant là. Les entreprises françaises sont très endettées par rapport à d’autres grandes économies. Plus encore, le poids de leur dette par rapport à celle de l’état est le plus élevé de toutes. 85,9% du PIB d’abord : c’est le taux d’endettement des entreprises françaises à la fin du troisième trimestre 2020. Il a de quoi inquiéter, si on le compare à ceux des Etats-Unis (51,5%), du Royaume-Uni (61,7%) et plus encore de l’Allemagne (45%). Plus endettées sont seulement les entreprises japonaises, à 103,3% du PIB. Plus problématique, ensuite, est la dette des entreprises si on la rapproche de celle de l’Etat : le rapport de ces deux dettes (entreprises/état) est en effet de l’ordre de 40% aux Etats-Unis et au Japon, de 60% au Royaume-Uni et en Allemagne, mais il atteint 74% pour la France (Source : Banque de France).

La croissance n’est pas assez là. Les derniers chiffres de croissance sur l’économie française montrent une lente reprise en 2021 (+0,4% au premier trimestre, +0,25% au deuxième), avec encore, à cette date, une perte de 4% de PIB par rapport à fin 2019. Mi 2021, l’activité a recouvre la moitié de la perte due à la pandémie. Ceci met en évidence la fragilité d’une économie qui dépend pour 14% seulement d’une industrie qui se relève peu à peu (mais souffre encore de la crise des transports) et pour 57% des services marchands (avec une baisse de moitié de l’hébergement-restauration).

A court terme, c’est donc la demande qui sera décisive, avec le déconfinement, mais ceci ne dit rien du futur. En effet, la prévision à long terme du budget, passée la reprise en cours (+5% en 2021, +4% en 2022, +2,3% en 2023), donne des chiffres bien plus amortis (+1,6% en 2024, puis 1,4% les trois années qui suivent (Source : Agence France Trésor, Bulletin mensuel mars 2021). Au fond, la croissance potentielle va dépasser de peu 1%, avec un deficit budgétaire persistant.

Pire, dire que la croissance quantitative française sera faible passe l’essentiel : les restructurations nécessaires, dans la nouvelle économie mondiale qui se profile. Comment réparera-t-on les effets de la pandémie, en fait restructurera-t-on l’économie pour la rendre plus résiliente aux failles que le Covid-19 a révélées ? Comment le secteur des services va-t-il se reconstruire ? Comment les emplois vont-ils muter, pour devenir plus efficaces et productifs ? Au fond, comment ren34 Une transfusion de fonds propres de l’épargné des ménages vers les entreprises pour les restructurer forcer l’économie française et européenne dans la phase post-Covid, dans le contexte géopolitique que nous vivons ?

 

Faut-il parler de reprise ou de rebond ?

Non : parler, mécaniquement, de reprise ou de rebond, fait oublier que la faiblesse quantitative du PIB futur cache une faiblesse qualitative, qu’il faut absolument réparer. L’Insee le précise dans sa dernière note de conjoncture : ≪ les vagues épidémiques ont à chaque fois entraine des chutes soudaines et de grande ampleur de l’activité, mais celles-ci peuvent être suivies de vifs rebonds une fois les contraintes levées et si l’épidémie reste jugulée… (Cependant) certains secteurs ne retrouveront pas forcement leur niveau d’avant crise. Inversement,  d’autres auront sans doute durablement le vent en poupe (informatique, etc.), au-delà de la crise sanitaire. ≫

Il faut donc prendre en compte les restructurations des chaines de valeur, le raccourcissement des chaines logistiques, les effets du télétravail, qui pourront être encouragés, avec tous leurs effets sur l’emploi, les espaces de bureaux, les transports,  plus tout ce qui devra être fait pour, non seulement, augmenter la productivité, mais encore la rendre moins sensible aux chocs. Télétravail et numérisation certes, donc formations et réorganisations, seront obligatoires, donc des investissements matériels (depuis les robots jusqu’aux locaux), immatériels (brevets et licences), structurels (pour réduire le nombre de niveaux hiérarchiques et gagner en réactivité) et plus encore en capital humain sont indispensables. Et il faudra les payer, d’avance.

Plus d’investissement, plus risque, devra faire la différence, pour que l’économie française reparte vraiment, sur ce nouveau sentier. Cet investissement est plus risque car irrécouvrable, au moment même ou la rentabilité des entreprises est faible et ou l’épargne liquide abonde : c’est la contradiction majeure à résoudre. Cet investissement nécessaire ne doit pas tant être défini en termes quantitatifs, par exemple les entrants qui peuvent manquer, que qualitatifs, par exemple les puces, sans lesquelles plus rien ne marche. On le sait, l’investissement français est faible, mais surtout mal mesure, car physique (ce sont les immeubles et les machines), au moment où la révolution technologique en cours implique plus d’investissements immatériels, pour accompagner les robots.

Place à l’immatériel et au stratégique. Ces besoins immatériels sont accrus par la sortie de la crise sanitaire, qui déstructure, donc déclasse, certaines organisations, pour forcer à en construire de nouvelles. Ensuite, les chaînes de valeur françaises et européennes doivent être revues, de manière à repérer et à réduire les ≪ intrants stratégiques vulnérables ≫ (CAE, Xavier Jaravel et Isabelle Méjean ≪ Quelle stratégie de résilience dans la mondialisation ? ≫note n°64, avril 2021), mais plus encore à diminuer les dépendances structurelles et horizontales de l’économie française et européenne, comme les puces et certains brevets informatiques. Les puces les plus petites, indispensables pour les machines les plus avancées, au-delà des téléphones cellulaires, sont produites exclusivement à Taiwan et en Corée du sud : on peut imaginer des lieux plus surs (et proches).

Il n’y a pas de choix. Ce financement accru d’un investissement plus risque ne pourra être que direct, mobilisant vers les actions le surplomb d’épargne que les ménages ont accumulé dans la crise sanitaire. Mais ce n’est pas ce qui se produit ! D’abord, le financement des entreprises se fait toujours plus par dette que par action et, si les entreprises recourent plus aux marchés financiers, il s’agit des marchés obligataires. Ainsi, depuis 2008, la part du financement bancaire des entreprises, qui progresse à un taux annuel moyen de 4,7%, a reculé au bénéfice du financement de marché, qui augmente de 8,8%. Les marchés financent ainsi entre 36 et 40% de la dette des entreprises, contre 23% en 2008 et 40% en 2015.

Cette marchéisation de la dette s’est faite au bénéfice des grandes entreprises qui s’endettent toutes plus, en banque et sur les marchés ! La médiane de la dette nette des liquidités divisée par les capitaux propres des grands groupes passe de 97% à 101% entre 2017 et 2019, sachant qu’elles placent auprès des non-résidents la moitié des titres qu’elles ont émis. Tous ces acheteurs sont désireux de rendements plus élevés que les titres publics, pour des actifs juges surs. On les comprend, mais ceci ne règle pas notre problème !

Au niveau agrégé, cette réalité d’une dette plus importante qui bénéficie aux seules grandes entreprises est cachée. Trois types de dettes naissent en effet : celle des entreprises déjà fragiles avant la pandémie et qui profitent des taux bas et des aides pour subsister, les zombies, celle des entreprises en assez bonne santé avant la pandémie et qui doivent s’endetter pour passer l’épreuve, le problème étant de leur trajectoire future, et celles des (grandes) entreprises en bonne santé qui profitent de l’abondance des liquidités pour se constituer un matelas (au cas où la situation se détériorerait, en tirant notamment sur leurs lignes de crédit) et pour faire des achats à bon compte d’entreprises malmenées. Mais fin 2020, globalement on ne voit rien de tout cela. La dette brute des sociétés non financières augmente de 220 milliards d’euros, dont 140 de dettes bancaires et 80 de dette obligataire, mais la trésorerie de ces mêmes sociétés non financières augmente au total de… 200 milliards ! 20 milliards de plus de dette, autant dire : ≪ pas de problème ≫, alors que les écarts se creusent.

C’est bien pourquoi, compte-tenu de ce surcroit d’endettement mal reparti, ≪ la Banque de France estime le besoin d’apport externe de fonds propres à 50 milliards d’euros pour rétablir des ratios prudents pour les entreprises présentant, avant la crise, une situation saine ≫ (Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France, 14 avril 2021). C’est la double responsabilité des bourses et du private equity de faire ces ≪ réparations ≫, avec des entreprises cotées qui augmenteraient leurs fonds propres plutôt que de racheter leurs actions, et des patrons de PME qui ouvriraient leur capital.

 

Les trois conditions d’une reprise par les fonds propres

D’abord l’Europe. Cette reprise par les fonds propres ne peut se faire qu’au niveau de l’Union des Marches de Capitaux. Il faut d’abord mobiliser cette épargne européenne globalement mal allouée : trop d’épargne en Allemagne notamment, qui va aux Etats-Unis ! Il s’agit ensuite de financer des entreprises dont la taille et le marché sont à l’échelle de l’Europe : des champions européens ! ≪L’objectif de marches des capitaux plus intégrés pour permettre un financement plus efficace et une épargne mieux allouée est impératif ≫, un objectif mis en avant par Denis Beau a la Banque de France, mais pas seulement, et qui est peu mis en œuvre. Il requiert en effet des acteurs bancaires et boursiers plus européens, donc des concentrations.

Ensuite une mobilisation de l’épargne vers les PME et les ETI en France. Dans la dernière décennie, les sociétés non financières ont renforcé leurs fonds propres, 6% par an pour les PME, 4,3% pour les ETI et 2,6% pour les grandes entreprises. C’est mieux, mais on peut penser qu’elles ont beaucoup souffert depuis, sachant que les TPE sont les plus vulnérables. Sur la période 2014-2018, une TPE sur cinq avait déjà des fonds propres négatifs, signe avant-coureur de défaillance. En 2018, les secteurs les plus capitalistes, comme en 2014, y sont les services aux entreprises et l’information-communication, les moins capitalistes, l’hébergement-restauration, les services aux particuliers et l’immobilier. On se doute que la situation des moins capitalises ne s’est pas améliorée. Certes, le renforcement de la structure financière des PME et des ETI va s’appuyer sur le dispositif de Prêts Participatifs soutenu par l’Etat (PPSE). On pense à 15 000 PME et ETI (à partir de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires) pour 14 milliards d’euros. En supposant que ceci suffise pour l’heure, la question est celle de la durée de ce flux de financement, pour financer l’effort.

Enfin, rien n’est possible sans une mobilisation durable de l’épargne des ménages. Il faut s’en convaincre : il ne pourra y avoir de vraie reprise des économies française et européenne sans plus d’investissement plus risque, finance en fonds propres, sachant que les entreprises sont déjà endettées, dans un état qui l’est aussi. Ce développement du financement en action ne va pas de soi : il faut l’aider.

 

Épargne-Covid : 10 000 euros par personne pour acheter des actions sans impôts, dans un compte spécial

Voilà ma proposition : orienter, vers les actions d’entreprises, l’épargne croissante des ménages en France, plutôt que ≪ laisser faire ≫ ou ≪ taxer ≫. Faut-il laisser les ménages épargner encore plus de 30 milliards d’euros par trimestre sans leur offrir de les placer plutôt en actions qu’en banque ou bien les taxer, pour faire payer ≪ la dette covid-19 ≫ aux ≪ riches ≫ et purger ces liquidités ?

Que l’on ne nous dise pas que c’est ≪ l’épargne des riches ≫. C’est plutôt celle de ceux qui n’ont pas pu aller en vacances ou acheter de vêtements, qui attendent pour acheter une automobile ou un réfrigérateur, plus celle de tous ceux qui, même si leurs revenus ont baissé, ≪ font attention, car on ne sait pas quand et comment tout ceci va finir ≫. La preuve, cette épargne continue de remplir les livrets, bientôt combles pour la moitié de leurs détenteurs, et les comptes bancaires, qui ne rapportent rien, en sachant quand même que la bourse monte, mais sans en profiter.

La contrepartie de cette ≪ épargne de confinement ≫ est une moindre reprise, aujourd’hui et demain, si elle s’installe dans ses comptes liquides, tandis que s’effondrent les services de tourisme, restauration, hôtellerie entrouverts, avec l’essentiel des spectacles, tandis que les livraisons à domicile se développent et que, ceux qui le peuvent, tachent de trouver des solutions partielles, en livrant des plats ou en créant des sites Internet qui acceptent et gèrent les commandes. Le pire est la naissance de nouveaux comportements, face à des entreprises qui ne peuvent assez s’adapter.

≪ Laisser faire ≫ est le risque à moyen terme, car ceci peut non seulement détériorer davantage le déséquilibre actuel : surépargne/sous-activité, et le faire durer. Le détériorer, avec ses effets sur le chômage, des déficits publics plus importants et des politiques monétaires sans grand effet, si une part aussi importante de l’épargne veut rester liquide, sans prendre de risque. Le faire durer si les entreprises se mettent à penser qu’il s’agit là d’un nouveau régime de croissance, plus faible car plus frileux.

≪ Taxer ≫ est pire, sous pression populiste. Taxer les ≪ riches ≫ ne fera évidemment pas repartir l’investissement, avec des apports marginaux au budget public, vite compenses par la hausse des taux longs.

Abandonner des créances venant de crédits publics a des entreprises qui étaient viables avant la crise, pour qu’elles ne chutent pas, part peut-être d’une bonne idée, mais surtout d’une idée ! Elle va butter sur les critiques du ≪ cadeau aux riches ≫, sur les recherches syndicales de compensations (garanties d’emploi notamment contre ≪ cadeau ≫) sans oublier les entreprises qui n’en bénéficieront pas, et qui mourront ! ≪ Pousser à investir une part de l’épargne liquide, 10 000 euros par personne, vers les entreprises ≫est une solution. Il ne s’agit pas de ≪ flécher ≫, ce qui a un ton dirigiste, mais ≪ d’inciter ≫ avec un engagement d’exemption fiscale sur dix ans.

Il ne s’agit pas d’une déduction fiscale, ce qui ferait encore bondir ceux qui parleraient d’un ≪cadeau aux riches ≫. Il ne s’agit pas non plus de favoriser des donations aux enfants ou petits-enfants, ce qui susciterait les mêmes réactions. Il s’agit de pousser à ≪ transfuser ≫ une part de cette épargne liquide vers un ≪ compte-Covid ≫ qui aurait comme seul avantage fiscal le fait que les éventuelles plus-values seraient hors impôt, sur dix ans, les pertes étant évidemment supportées par l’actionnaire.

Quand on s’inquiète du surendettement des entreprises et quand on voit que 6% des 55 millions de personnes physiques qui ont un Livret A l’ont rempli (100 milliards !), ce qui représente 30% de l’encours, on mesure la légitimité économique de cette proposition. Elle aurait l’avantage, en drainant plus de ressources vers la bourse française, de réduire les bulles partielles que l’on y voit, notamment dans les SPAC, sans compter son soutien à la croissance des PME et à la recherche.

≪ Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ≫ disait (parait-il) Bossuet. Aujourd’hui, ce serait : ≪ Les Français déplorent la montée des dettes dont ils chérissent les causes : des entreprises qui épargnent trop, comme eux ! ≫


Cercle des Economistes

Aller sur le site