Marx, Keynes et Machiavel, face à l’isoloir : Quel monde ici ! Et vous ! Nous voilà tous dans un même bateau.
Marx : Ce bateau est la barque de l’Histoire. Une Histoire qui nous jugera, nous et nos théories. Moi, je suis ici pour voter Communiste. Et je m’inquiète, au vu du résultat des élections européennes, d’avoir obtenu 2% des votes pour mes idées, puis du ratage du Secrétaire général ici. Les ouvriers auraient-ils pris d’autres drapeaux ? Certains auraient-ils trahi leur classe ? Pourquoi ? Heureusement, ce Nouveau Front Populaire m’a ragaillardi. Mais je n’y retrouve pas les prolétaires, les mineurs, les travailleurs de l’acier et des filatures de mon temps.
Keynes : Moi non plus, je ne retrouve pas les libéraux, les professeurs, avocats et journalistes qui me suivaient. On me dit pourtant qu’ils forment plus de 10% de la population, mais difficile de savoir où ils sont passés. Personne n’ose se dire libéral. Comme s’il s’agissait d’une maladie honteuse ! Le plus amusant, ou le pire, dans tout cela, c’est que les programmes qui proposent de fortes hausses de salaire dépassant de loin la productivité, et que dire pour les hausses des fonctionnaires, se réclament de moi !
Marx : La trahison est la rançon du succès : Lénine, Staline et Trotski ont beaucoup tué, en se disant marxistes ! Puis, ce fut Mao.
Keynes : Je sais, mais moi je n’ai tué personne. Depuis longtemps, pour être élu en politique, j’ai appris qu’il fallait proposer une politique « keynésienne ». Il « fallait » un déficit budgétaire et creuser la dette publique, par la hausse des salaires. Pourtant, je ne parlais d’augmenter les dépenses publiques que pour lutter contre la déflation. C’est contre une crise majeure, quand la baisse des taux d’intérêt ne fait plus rien, que seule la dépense publique et l’embauche de fonctionnaires peuvent faire repartir la machine. Maintenant, tout le monde est keynésien alors qu’il y a de la croissance, certes peu, et même de l’inflation, certains disent trop ! On veut mieux vivre, mais à crédit : je suis trahi !
Marx et Keynes se tournent alors vers Machiavel : Et vous ?
Machiavel : Moi, je suis intrahissable. Je regarde ce que font les Princes, à côté de ce qu’ils disent. J’écoute peu les explications. Je sonde toujours la logique, souvent indirecte, des intentions. Bien sûr, le Prince peut se tromper, mais que veut-il réellement ? Au premier mouvement sur l’échiquier, et après ? Les élections européennes ont montré à Macron que sa « majorité relative » avait disparu. En fait, elles étaient françaises. Il a donc préféré enclencher une dissolution que d’être dissous en octobre par un vote de défiance sur le budget. Les partis politiques, pris de court, ont alors ressorti leurs programmes vieux de deux ans. Ils s’aperçoivent qu’ils marchent encore moins qu’avant : rage ! La guerre est à la porte, la situation économique et financière est pire, le monde entier regarde. Tous doivent faire machine arrière. Macron les a dévoilés et plus encore provoqués : ils le détestent et se vengent.
Keynes : Ils rétropédalent, brouillent les anticipations de dépense et inquiètent les marchés. Et moi, non seulement ils me font dire ce que je n’ai jamais dit, mais ils montrent en plus qu’ils ne m’ont pas compris, et en rajoutent !
Marx : Et moi, ils font la moitié du chemin. Je voulais la dictature du prolétariat, avec plus de plus-value pour lui, pas la faillite des entreprises où il travaille ! Les fonctionnaires sont vingt fois plus nombreux que les ouvriers, arc-boutés sur leurs horaires, leurs indices, leurs trimestres de cotisation à la retraite : ils ont gagné ! Pour eux, « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » se borne à leur pays et pour eux. Je découvre alors que ces fonctionnaires peuplent le Parti socialiste : malins, comme de mon temps.
Machiavel : C’est pourtant simple : vous Marx voyez que vos livres ne peuvent être appliqués par ceux que vous voulez défendre et vous, Keynes, qu’ils endettent ceux qui vous ont cru !
Marx et Keynes : Vous ne croyez donc à rien ?
Machiavel : Marx, vous avez divulgué la stratégie de ceux qui veulent le pouvoir, erreur, et vous, Keynes, celle de ceux qui veulent le garder, autre erreur. Moi, je suis toujours du côté du Prince.
Marx et Keynes : Et s’il n’y a plus de Prince ?
Machiavel : Après une bataille à Florence, un nouveau Prince apparaît toujours.
Marx et Keynes : Plus méchant ?
Machiavel : Vous voyez où mène la démocratie quand on ne sait pas la mener !