Mario Draghi veut abaisser le coût moyen de financement de la zone euro pour la faire redémarrer et, en même temps, résister à la montée des taux qu’orchestrent les Etats-Unis. Mais il ne le dit pas. Il veut que la BCE mène sa barque, que les taux espagnols, italiens, grecs, portugais continuent de baisser alors qu’ils sont à la hausse aux Etats-Unis. Pourquoi cet objectif ? Pourquoi le taire ?
- Pourquoi et comment Mario Draghi veut-il faire baisser le coût réel du crédit ?
D’abord, la zone euro ne peut repartir qu’avec une baisse du coût réel du financement bancaire. En zone euro, en effet, 2/3 du financement vient des banques, 1/3 vient des marchés. C’est l’opposé de ce qui se passe aux Etats-Unis, où 2/3 du financement se fait par les marchés, 1/3 par les banques. Aux Etats-Unis, pour faire baisser le coût réel du financement, il faut baisser les taux nominaux en achetant des bons du trésor (le fameux quantitative easing) et permettre la remontée de l’inflation. Ainsi, aux Etats-Unis aujourd’hui, quand on emprunte jusqu’à cinq ans, le financement par le marché est à taux réel négatif. Ça aide ! C’est cette idée que poursuit la BCE, mais en passant par les banques. Or, aujourd’hui, les taux nominaux des crédits aux PME sont à 5 % en Espagne et Italie, soit 4 % en termes réels, contre 1,8 % en France ! C’est là qu’il faut agir.
Ensuite, pour faire baisser les taux bancaires au sud, il faut continuer à faire pression pour que le « risque sud » diminue, autrement dit pousser à plus de réformes dans ces pays pour améliorer leur situation externe et budgétaire. Ceci permettra à l’inflation de repartir, après la reprise. Et pour que les esprits soient guidés, Mario Draghi répète son objectif majeur : une inflation proche de 2 % à moyen terme. Ce sera 1,3 % en 2015 puis 1,5 % en 2016, le double d’aujourd’hui. L’inflation escortera la croissance : 1,2 % en 2014, 1,5 % en 2015, 1,8 % en 2016.
Enfin, il faut que les banques accordent des crédits ! Pas facile si les entreprises souffrent, les banques peinent et surtout se préparent à l’examen de santé qu’elles vont « subir » de la part de la BCE elle-même. Cette dernière va en effet regarder leurs crédits, leurs risques, leurs provisions et leurs fonds propres pour préparer l’union bancaire. On a ainsi des banques plus inquiètes pour faire crédit en même temps qu’elles cherchent – celles qui en ont besoin – des fonds propres et des emprunts obligataires convertibles en actions « au cas où ». L’opération est compliquée : faire baisser le taux réel du crédit et pousser les banques à prêter plus, tout en les surveillant plus ! Pas surprenant que la BCE pousse à la désintermédiation, autrement dit demande aux entreprises de se financer sur les marchés, auprès des assureurs et des gestionnaires d’actifs : ça aidera.
- Pourquoi Mario Draghi n’est pas plus clair dans sa démarche
D’abord, tout banquier central est prudent, ce qui ne l’empêche pas – lui – de se lancer dans des opérations risquées qui ont étonnamment réussi : c’est pour cela qu’il est si crédible. On se souvient du Whatever it takes du 27 juillet 2012 qui renverse le cours des choses en stoppant la spéculation contre l’Espagne et l’Italie. Ces mots ont sauvé ces pays, et la zone euro. Aujourd’hui, il répète qu’il est prêt à agir if needed, si la croissance s’enfonce et la déflation s’installe. Comment ? On verra mais on le croit : c’est l’essentiel. Et comme son message est positif : faire repartir le sud par le retour des capitaux, on le croit doublement : il est sérieux, il agira if needed.
Surtout, il doit atténuer la complexité de sa démarche par rapport à celle, si simple au fond, des Etats-Unis. C’est bien pourquoi il dit qu’il n’a pas d’objectif de change, ce qui n’est pas compris : pour ne pas inquiéter les investisseurs. Il note que l’euro est « solide », pour ne pas dire « fort », et que son appréciation réduit le taux d’inflation en zone euro – pas plus. Cette montée de l’euro est ainsi, au moins pour partie, le prix à payer dans sa stratégie de crédibilité pour que les investisseurs financent le sud. Le bilan entre baisse du taux réel des emprunts d’un côté et hausse de l’euro de l’autre est évidemment positif. Mais ceci ne vaut que si le processus s’interrompt. Si l’euro continue de monter par rapport au dollar et au Yuan, il faudra envoyer d’autres messages et faire en sorte que l’euro politique parle, autrement dit le chef de l’Eurogroupe, seule entité en charge du taux de change de l’euro.
Au fond, rien ne sert à Mario Draghi d’expliquer qu’il entend faire comme les américains : réduire le coût réel de la dette, mais pour des pays plus risqués, en passant par les banques, dans une organisation plus fragile et avec moins d’outils. Il suffit qu’il fasse, sans trop dire.