Liberté, Équité, Responsabilité

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 Liberté, Équité, Responsabilité

Mais non, c’est : « Liberté, Égalité, Fraternité », la devise de la République ! Elle est inscrite dans notre Constitution, à son article 2. Mais il a fallu du temps ! En effet, cette trinité n’a été ni trouvée ni acceptée tout de suite, même si Fénelon en parle à la fin du XVIIIème siècle et si le cher Robespierre propose de l’inscrire sur les drapeaux en décembre 1790. 1789 passe à côté. Pire, la loi du 22 décembre 1789 propose : « La Nation, la Loi, le Roi », ce qui n’est pas un engagement d’émancipation. Pourtant, cette trinité figurait parmi les devises maçonniques de la loge des Neuf-Sœurs, puis dans bien d’autres. En fait, il a fallu attendre le 26 février 1848 pour qu’elle revienne au fronton de la 2ème république, 1880 pour qu’elle soit réinscrite sur ceux des édifices publics, 1946 et 1958 pour qu’elle soit intégrée à notre Constitution. Pourquoi donc ces délais ? Et surtout : nous aide-t-elle aujourd’hui ?

Liberté : l’idée était là, avant la Révolution française bien sûr. Mais il fallait alors, pour qu’elle la reprenne, abolir les fondements sociaux, fiscaux et politiques de la noblesse et du clergé. Ce qui n’allait pas de soi. Mais à la fin, ces « droits », souvent taxes ou travail gratuit, ont été supprimés sans compensation : pas « d’avantages acquis », en ces temps-là ! En fait, les Représentants du peuple français, dans la Salle du jeu de paume, passent rapidement des « droits naturels et imprescriptibles de l’Homme » à ses preuves pratiques : « la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». La liberté peut toujours se décréter, l’essentiel est qu’elle en ait les moyens. Et celle de circuler ?

Égalité : elle vient en fait de la liberté. Etre libre consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ce qui est défini par la loi, la même pour tous. Pas de liberté sans loi, pas de liberté sans égalité devant elle. Nous progressons, même si le terrain devient plus complexe : comment faire qu’il y ait égalité devant la loi, les citoyens étant inégaux ? Et cette justice « indépendante du politique » : de quelle indépendance, de quel politique, de quelle idéologie s’agit-il ? A l’époque la bourgeoisie voulait être indépendante de la noblesse. Et maintenant ?

Fraternité : conclue la trilogie formelle, mais les choses sont compliquées. Le 4 juillet 1790, les députés de la Constituante jurent « de demeurer unis à tous les Français, par les liens indissolubles de la Fraternité ». Pas si vite : « méfiance envers cette Fraternité qui fait inviter aux banquets républicains ‘aristocrates’ et ‘modérés’ », nous avertit Barère le 16 juillet 1794. Sacré Bigourdan que ce Barère : « Bons citoyens des sections, vous ne portez à ces repas que de la franchise et de la gaité ; mais tous nos convives sont-ils aussi francs et purs comme vous ? Le vin précieux qu’ils vous portent n’est que de l’opium ; ils veulent vous endormir au lieu de fraterniser ». C’est  l’époque où il est demandé de peindre sur les murs : « la Fraternité ou la mort ». Des esprits facétieux demandent assez vite, le 5 mars 1794, que cette inscription disparaisse, elle « qui serait plus propre à former l’épitaphe du genre humain ». Mais cette Fraternité-là allait quand même accompagner la Terreur jusqu’au 28 juillet 1794. Chamfort traduisait « la Fraternité ou la mort » par : « Sois mon frère, ou je te tue » : la Fraternité dut donc attendre pour entrer dans la Constitution ! Il n’est pas sûr qu’elle ait gagné les quais de la SNCF ou les wagons de la RATP. On ne la retient donc plus dans la nouvelle devise républicaine que nous proposons : soyons pratiques !

Reprenons donc l’exercice de 1789 pour qu’il nous aide à nous renforcer. Liberté d’accord, mais en mettant l’accent sur la capacité à l’exercer, celle de ne pas nuire à autrui. Égalité d’accord, mais attention. C’est une notion trop vague, selon Thomas Piketty lui-même. Préférons l’équité : l’engagement de donner à chacun les mêmes opportunités de succès. Égalité des chances, pas des résultats, car ils dépendent de l’exercice, par chacun, de sa liberté.

Fraternité, exit. Responsabilité alors ? Oui : la Fraternité vraie est en jeu dans ce monde qui communique toujours plus, plus vite et ne fait aucun cadeau entre jeunes et vieux, bien portants et malades, chômeurs et en emploi. Accepterons-nous enfin de rationaliser les rapports sociaux, en s’inspirant du Siècle des lumières, avec des aides justifiées ? Si oui : Liberté, Équité, Responsabilité !