L’humour des politiques en danger : est-ce grave ?

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 L’humour des politiques en danger : est-ce grave ?

Pour répondre, il faut d’abord savoir si l’humour, chez les politiques, est sain ou inquiétant. Tout dépend de l’écart qu’il manifeste avec la réalité. Moyen, il prouve une schizophrénie gérable, un recul qui peut atténuer des réactions excessives, montrant « qu’on n’est pas dupe ». Important, il peut inquiéter, par ce qu’il révèle et provoque. Car c’est alors que viennent les réseaux sociaux. Ils amplifient tout, parfois sans comprendre, plus souvent en comprenant l’intérêt (monétaire ou politique) qu’ils peuvent en tirer, contre leur auteur. Il faut donc défendre le droit à l’humour moyen des politiques !

 

En France, chaque année, le jury du « Press Club, humour et politique » nous aide à ce calibrage, en récompensant des politiciens français ayant prononcé la phrase la plus drôle de l’année, volontairement ou non. Schizophrène léger, Valéry Giscard d’Estaing, gagne en 2015 le Prix spécial pour l’ensemble de son œuvre, notamment pour son projet de Constitution européenne «C’est un texte facilement lisible, limpide et assez joliment écrit : je le dis d’autant plus que c’est moi qui l’ai écrit ». Schizophrène plus affirmé, Bruno Le Maire gagne en 2016, avec son : « Mon intelligence est un obstacle ». C’est à peine mieux que l’ancien président François Hollande, grand gagnant en 2017 avec : « Toutes les décisions que je prends, je les prends seul avec moi-même, dans un dialogue singulier ». Il reçoit ensuite, en 2019, le Prix des internautes pour : « Emmanuel Macron, j’aurais pu le battre mais je n’ai pas voulu ». Moins présidentiel mais tout autant schizoïde, Gilles Le Gendre, président du groupe LREM à l’Assemblée, gagne malheureusement le Prix spécial avec son commentaire sur les mesures du gouvernement sur le pouvoir d’achat : « Nous avons probablement été trop intelligents, trop subtils ».

 

Mais, si l’humour politique ne frappe pas à toutes les portes, on le sait, il ne frappe pas non plus de la même manière à celles qu’il choisit, on le voit. Il peut ainsi décrire, avec une saine distance, une situation bien réelle vécue par son auteur. A la question : « Tout remonte-t-il à Matignon ? », le Premier ministre Edouard Philippe répond : « Non, seulement les emmerdes ». Ceci lui permet de remporter le Grand prix 2018–2019. Pareil pour ce même doux retour au réel de 2010 par Eva Joly, Députée Europe – Ecologie, avec sa déclaration : « Je connais bien Dominique Strauss Kahn ; je l’ai mis en examen ».

 

Ce retour du et au réel transcrit et modère la violence de la réalité, quand s’éloignent les douceurs du pouvoir. Le Grand prix 2012 a ainsi été décerné à François Goulard, Président du Conseil Général du Morbihan pour sa phrase : « Être ancien ministre, c’est s’asseoir à l’arrière d’une voiture et s‘apercevoir qu’elle ne démarre pas ». Mais surtout, il faut éviter l’excès de réalité. Le Prix Spécial du Jury 2010 va ainsi à Georges Frêche, Président du Conseil Régional de Languedoc-Roussillon, pour sa phrase : « Des gens intelligents, il y en a 5 à 6% ; moi je fais campagne pour les cons ». C’est sans doute vrai, dans les têtes politiques seulement (bien sûr), mais trop pour de l’humour.

 

L’humour, en politique, c’est donc la maîtrise d’une certaine distance au réel : ni trop, ni trop peu. Il manifeste le secret espoir de résister au temps, autrement dit aux élections, sans trop y croire. En 2011, le Grand prix est ainsi décerné à Laurent Fabius : « Mitterrand est aujourd’hui adulé, mais il a été l’homme le plus détesté de France. Ce qui laisse pas mal d’espoir pour beaucoup d’entre nous… » et, en 2014, Alain Juppé en rajoute : « En politique, on n’est jamais fini. Regardez-moi ! ».

 

En France, l’humour politique montre que nous adorons la politique parce qu’en fait nous n’aimons pas du tout l’économie ! Pourquoi ? Parce que la politique implique une certaine connaissance des rouages de l’économie, mais avec une certaine distance, pour vouloir et pouvoir les changer. L’économie nous énerve toujours, que la réforme marche ou pas ! Pour gérer cette distance, notre capitalisme devient « social », nos règles « flexibles », sans humour ! On comprend à quel point il est menacé ici, quand on voit l’écart entre l’humour politique français et celui du Boris Johnson, dont on ne sait où il finira avec le Brexit (« il » : l’humour), et celui de Donald Trump, dont la remarque sur les Kurdes, qui « ne nous ont pas aidés en Normandie », relève du surréalisme.