« L’extrême-droite vient » ou : « le danger de crier au loup »

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  « L’extrême-droite vient » ou : « le danger de crier au loup »

 

Les sondages envoient, à un an des élections, un message sans exemple depuis la deuxième guerre : « au secours, l’extrême-droite vient ! ». Cet appel a changé de contenu : la peur de l’extrême-droite et non de la droite, mais avec les mêmes questions, derrière ces « appels au loup », sur ses origines et ses risques.

D’après les derniers sondages, le succès de l’extrême-droite pourrait faire peur, pas celui de la droite, qui paraît peu probable. Aujourd’hui Marine Le Pen ferait « jeu égal » avec Emmanuel Macron. En face, les candidats qui se réclament à divers titres de la gauche se partagent une portion qui se réduit. Il ne s’agit donc plus d’un « au secours la droite revient », puisque tel fut le cas avec Sarkozy, sans drame majeur pour nos libertés et la classe ouvrière d’ailleurs, peut-être plus sur l’économie, par insuffisance de réformes courageuses. Et quand « vint la gauche » ou plus exactement François Hollande, sans appel de la droite au secours, on ne peut pas dire que la situation économique, financière et sociale s’en soit beaucoup améliorée.

« Au secours, l’extrême-droite vient » veut dire deux choses. D’abord que la gauche désunie doit se regrouper pour exister, ensuite et surtout que son « vote en dernier ressort » contre l’extrême-droite au deuxième tour pour Macron l’a affaiblie et qu’on ne l’y reprendra pas ! La gauche fractionnée d’aujourd’hui se vit ainsi plutôt comme la victime de Macron, dont elle a permis la victoire. Elle ne veut plus céder au piège du « vote républicain », ce qui alimente donc, mécaniquement, le : « Au secours, l’extrême-droite vient… si la gauche ne s’unit pas ». Mais c’est s’ouvrir au risque de l’aléa moral, bien connu des assureurs : si je suis assuré, j’ai moins besoin de faire attention, c’est alors que vient le sinistre, puisqu’il ne s’agit pas en réalité d’assurance, mais de mon comportement !

Ces appels au secours passent à côté de l’essentiel : les partis sont devenus plus « flous ». La révolution économique en cours a des effets de « dépolarisation sociale », dont les inclinaisons politiques sont un reflet. Les catégories sociales se fractionnent, avec la multiplication des métiers, regroupés dans des « catégorie intermédiaires ». La classe ouvrière ne représente plus que 19% des actifs en 2020 (avec 13% de qualifiés), soit moins que les 26% d’employés (avec 14% de qualifiés) et autant pour les professions intermédiaires (26%), à côté de 20% de cadres, selon l’Insee. Voilà trente ans que nous sommes dans la révolution de l’informatique, après celles de la vapeur et de l’électricité. Elle est mondiale, plus rapide que jamais, pénètre dans les entreprises et les foyers, chamboulant structures, métiers, responsabilités et rémunérations.

Cette dépolarisation sociale s’accompagne d’une évolution des revenus qui peut surprendre. Il y a moins d’ouvriers, dont la situation de ceux qui demeurent s’améliore, plus de cadres, qui connaissent l’évolution inverse et une importante strate intermédiaire, croissante, qui peine à se définir, mais dont les revenus n’avancent pas. Ainsi, le salaire annuel moyen net (calculé en ÉQuivalent Temps Plein, EQTP) des ouvriers a augmenté de 15% entre 1996 et 2018, soit la plus forte augmentation de toutes les autres catégories socioprofessionnelles du privé, autour d’une moyenne de 13%. Relativement moins d’ouvriers mais relativement plus payés : c’est ce qui s’est passé, contre relativement plus de cadres (et chefs d’entreprise) mais avec une hausse de 6% sur la période. Les employés se tirent mieux d’affaire (+8%), mais les revenus des professions intermédiaires stagnent à +2% seulement.

Sans être mécanique, la situation politique reflète cette évolution, avec une crise de la gauche traditionnelle, autour de celle de l’industrie, avec une montée des insatisfactions en termes de revenus et de reconnaissance sociale des catégories intermédiaires. Peut-être sont-elles tentées par des propositions plus radicales, pas d’une gauche traditionnelle, qui n’est pas ou plus la leur.

Alors, « crier au loup » a peu de chances de réunir une gauche politiquement éclatée, puisqu’elle l’est économiquement. Ceci rend plutôt le loup moins dangereux puisque plus plausible, et fait en même temps que tous affaiblissent le groupe central de Macron pour accéder au pouvoir. Mais en fait, sans analyses et programmes sérieux, de tous bords, pour rebondir sur la révolution informatique, « crier au loup » le fait venir.