Cher Emmanuel,
Je suis très heureux, et pourquoi vous le cacher, très fier de voir qu’un de mes anciens disciples, en tout cas quelqu’un qui a travaillé sur mes écrits, devient Prince de France. Ou plutôt Président, comme vous le dites.
Je me plais même à penser que je vous ai inspiré avec ma maxime : « tenter la fortune car elle est l’amie des jeunes gens et changer avec le temps ». Et j’avais été plus précis : « la Fortune est femme et il est nécessaire, si l’on veut la culbuter, de la battre et de la bousculer… Elle se laisse convaincre plutôt par les jeunes hommes fougueux que par les réservés ; comme elle est femme, elle est toujours l’amie des jeunes gens, moins circonspects, plus ardents et plus audacieux à la commander ». Bien sûr, avec la pruderie de vos temps, on ne peut plus s’exprimer de la sorte. Mais c’est bien ce que vous faites, et sans le dire ! Discuter, débattre, c’est utile mais c’est toujours s’épuiser. Je vous conseille d’aller bien plus vite, avec vos Ordonnances !
Mieux même, par vos temps où la communication, vraie ou fausse, domine, moi qui fus ambassadeur de l’ombre et grand collecteur de ragots de Florence (et d’ailleurs), j’apprécie votre façon d’exercer le pouvoir. Plus besoin de tuer, ni de torturer (je sais de quoi je parle) : il suffit d’agir en « jeunes gens ». C’est ce que vous seul pouvez faire. Vite. Vous serez critiqué et jalousé. Mais vous aurez toujours un coup d’avance sur les vieux (même d’extrême gauche). Attention cependant à vos ripostes face aux généraux et à certains propos intempestifs. Evitez surtout que vos amis ne se divisent, en leur parlant souvent. Et tenez-vous à distance des médias, en choisissant les thèmes que vous commenterez.
Vous le savez : je n’ai pas écrit Le Prince, titre racoleur donné plus tard, mais De principatibus, des principautés. Je m’en suis toujours tenu aux principes du pouvoir, pas à celui ou à la structure qui l’incarne.
Je vais donc vous dire, cher Emmanuel : je ne suis pas surpris que votre jeunesse ait culbuté vos anciens responsables. Mais il vous faut maintenant changer l’état des choses, pour durer. C’est là que viennent les difficultés, quand on voit comment le pouvoir corrompt, avec ses facilités et ses médailles, ses coteries et ses complots.
En ce domaine, vous connaissez mon message : la douceur et la compréhension seront toujours tenues pour des faiblesses. Je vous conseille donc toujours de vous tenir ailleurs, de frapper fort quelques fois, pour l’exemple, et de vous situer plus haut et aussi plus bas, avec le peuple.
Plus haut d’abord : donnez-vous, donnez à votre peuple des pensées élevées, des références abstraites, et des objectifs économiques difficiles. C’est en visant plus haut qu’on atteint la cible.
Mais soyez aussi plus bas, avec les simples gens. Il faut qu’ils vous voient, vous écoutent, perçoivent votre différence. Evitez surtout le « normal ». Le peuple veut savoir qui le mène, même s’il ne l’aime pas toujours! Et c’est dans les détails concrets qu’il verra ce que vous faites.
Sachez surtout gérer les contraires. Le manufacturier veut s’enrichir et doit peser sur le salaire. Mais si le salaire est faible, il ne vend pas ! Le salarié veut gagner plus, mais il ne sait décider pour l’entreprise, gérer ses hiérarchies et ses contradictions. Les manufacturiers veulent et savent commander (enfin, s’ils sont bons) ; les salariés n’aiment pas être commandés, mais n’ont d’autre choix (enfin, si tout se passe correctement). C’est bien pourquoi la gestion des relations dans l’entreprisse est si compliquée, entre ces humeurs contraires et ces guildes patronales et ouvrières, opposées et conservatrices ! Et dans la cité, il en est de même, en plus gros.
Soyez donc toujours prêt à montrer votre force. Ne cédez jamais aux facilités des scénarii roses. Ils démotivent et, s’ils ne se produisent pas, on vous le reprochera.
L’histoire n’est jamais écrite, elle hésite et peut bifurquer. C’est bien pourquoi je souris, depuis ma Florence, quand j’entends dire que les Français moquent votre « en même temps ». Ils n’ont pas compris que la société est un tissu social à nouer en permanence, car son devenir est de s’user et de se dénouer !
Les voilà, mes « principes » qui gèrent les principautés. La fin ne justifie pas les moyens, puisque personne ne connaît « la fin », mais il faut toujours tenir prête la force. Au cas où.
Et n’oubliez jamais : il ne faut point trop rêver aux astres, faute de choir dans le… désastre !