Lettre de l'Empereur Hadrien au Président Trump

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 Lettre de l'Empereur Hadrien au Président Trump

(Villa d’Hadrien, juin 138)

Ave !

Dix-neuf siècles après moi, Président Trump, tu me sembles aux prises avec la fin du dernier véritable empire mondial, c’est-à-dire : après le mien. Je sais bien que des historiens parlent, après Rome, d’autres « empires », ceux des lointains successeurs des Gaulois et des Saxons, mais je ne partage pas ce point de vue. Par la langue, l’économie, la monnaie, les armes, la culture, tu as hérité d’une suprématie mondiale, la seconde après moi. Mais elle s’étiole, comme la mienne après moi. Alors tu veux jouer les prolongations : faire des guerres, taxer les barbares, élever des murailles, réduire tes impôts… « Faire l’empire grand à nouveau » : humaine réaction. Même moi, César, l’ai fait.

Tout ceci m’est en effet arrivé. Au tout début de mon règne, il n’est pas impossible que j’aie fait exécuter quatre généraux, pris dans un « complot » contre moi,  c’était facile en ces temps ! Mieux, j’ai effacé la dette fiscale des Romains et fait brûler les registres : autre chose que baisser les taux d’imposition ! Mais surtout, assez vite, j’ai compris que mon Empire était trop grand et qu’il me fallait le borner. Je me suis alors lancé dans la construction de murs, en Ecosse, en Germanie, sur les rives de l’Euphrate, avec partout des troupes redoublées, pour bien en marquer les limites. Mais c’était là surtout un symbole : en fait, je n’ai cessé de vouloir renforcer et structurer mon empire par l’intérieur, en mettant l’accent sur la culture, pour séparer la Romanitas de la Barbaritas. Je n’ai pas le sentiment que ce concept de « mur culturel » soit autant le tien, ce que je regrette. Les langues passent, pas les belles statues, les grandes demeures et les splendides édifices, moins encore les chefs-d’œuvre de l’esprit et les idées.  Je n’oublie pas mon échec en Judée, quand j’avais bâti un temple à Jupiter sur le Second Temple de Jérusalem. Quelle erreur qu’oublier les cultures et les religions, les différences et les histoires ! Quelles guerres j’ai alors causées !

Alors, depuis ces « lieux pâles, durs et nus » où je réside désormais, je m’autorise ces conseils : pense à la trace que tu laisseras dans l’histoire. Des guerres et des tensions, ou une Villa Hadrien ? Ton monde va certes plus vite, réagit plus vite, est-ce pour autant qu’il analyse, pense et décide mieux que le mien ? J’ai beaucoup aimé, dans un temps plus ouvert que le tien, beaucoup voyagé et construit, guerroyé et tué aussi. J’ai eu 21 ans de règne pour agir et gérer – surtout vers la fin. Tu n’en auras pas autant, même si ton temps est plus véloce que le mien, au moins pour s’agiter. Construire et pacifier sont les choses les plus importantes au monde. Limiter son empire et calmer sa périphérie commence par l’intérieur.

Tu vas me dire qu’il m’est facile de parler ainsi, depuis mon mausolée, moi qui n’ai jamais été élu mais choisi par Trajan, mon tuteur qui eut la bonne fortune de devenir Empereur. Il m’appréciait beaucoup, mais quand même, à 24 ans, on ne sait jamais, j’épousais sa petite nièce. Elle en avait 14.

Je ne sais pourquoi je te raconte tout cela ! Tu me diras, d’après les informations qui nous parviennent ici à ton sujet, que la seule expérience qui compte est la tienne, pas celle des amis, moins encore celles des experts et autres conseillers. Et que dire alors d’un mort depuis 1900 ans !

Pourtant, je m’inquiète des fins des empires, du tien comme du mien. J’ai tenté de consolider le mien, et n’ai fait que retarder sa chute dans la barbarie. Certes, des siècles après, Rome connut une Renaissance. Mais que de temps perdu, de morts et de livres détruits ! Puis ce fut pire : plus de culture et de puissance d’abord, plus de sauvageries mondiales ensuite.

Alors, comprends que je m’inquiète pour la fin de l’Empire américain, si tu ne t’entoures pas de peuples sinon amis, du moins calmes, en montant tes palissades et si, surtout, tu attises des passions funestes au sein même de ton propre peuple. Le risque est toujours la barbarie, la fin de cet apport grec que j’ai tenté de maintenir : la démocratie. Je t’entends rire d’ici : un despote qui se veut démocrate ! Oui parce qu’« éclairé » par Athènes, pour repousser la violence qui veut toujours naître en nous !

Attention à ne pas affaiblir ton Empire en croyant le renforcer par la peur et la violence, en divisant les tiens et coalisant tes ennemis. Ecoute mes conseils : à 62 ans mon corps me lâche, pas la tête.

 

Imperator Hadrianus