Lettre de Karl (Marx) à Emmanuel (Macron)

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 Lettre de Karl (Marx) à Emmanuel (Macron)

Président,

La Droite française est peut-être la plus bête du monde, ce qui est sûrement encore plus vrai de la Gauche, mais pas du tout le cas de la Classe dirigeante française ! Quel talent en effet, celui de cette bourgeoisie française, pour gérer la contre-réforme sociale sous les habits de la technocratie ! Elle est neutre, comme son nom l’indique, bien sûr. Mettre l’ENA au pouvoir presque partout, en en faisant le critère d’admission majeur par la compétence et non les choix politiques, il fallait le faire ! Et vous le fîtes !

Bien sûr, et ceci aide, vos oppositions classiques sont anéanties. Le Parti socialiste compte passer tout l’été à écrire son Anti-Capital, et surtout à se chercher un nouveau nom. Les Républicains ne savent comment voter contre vous, tant vous faites à peu près ce qu’ils veulent. L’Extrême droite tourne contre elle ses invectives et se demande qui critiquer, maintenant que l’on voit que Bruxelles a bien aidé ses conseillers. Seule tient encore l’Extrême gauche, tant le Trotskysme est la variante la plus endurante du Communisme, et pourquoi pas du Marxisme selon certains ! Mais eux aussi ont dû vivre des avantages bruxellois et sénatoriaux, pour défendre le prolétariat opprimé. Attendons la justice bourgeoise…

Je me demande alors d’où vous venez, pour tenter de mieux vous comprendre. Improbable croisement du Nord et du Sud-Ouest, d’une formation jésuite et d’un philosophe protestant – Paul Ricœur, d’une vision idéaliste de l’histoire et d’une méthode matérialiste pour la mettre en œuvre – en réduisant les dépenses, on ne sait où vous cesserez de marier les contraires. Il est vrai cependant que, de la loi qui porte votre nom à la loi El Khomri, en allant aujourd’hui vers les ordonnances, votre vision est claire. Vous voulez faire coopérer les classes sociales ! C’est tout le sens de votre « en même temps ».

C’est donc ce que vous tentez de faire, avec votre idée de « regarder l’histoire de France en face ». Vous voulez « réconcilier les mémoires », avec Algérie et Vel d’Hiv d’un côté, Oradour et Simone Veil de l’autre, l’horrible et l’héroïque. Je comprends votre idée d’une commune histoire des exploiteurs et des exploités, mais ne puis évidemment l’accepter. Pour moi, l’histoire des hommes est celle de la lutte des classes, non de leurs noirceurs contre leurs grandeurs. A côté des « héros », vous dites même, dans une interview qui m’est parvenue : « La République, je ne renoncerai jamais à le rappeler, s’est aussi structurée grâce à des figures comme celle de l’instituteur, du soignant, du chercheur, véritables héros du quotidien, dont la valeur et la force symbolique ne sont hélas plus guère célébrées. » Mais où sont les paysans, les ouvriers, les prolétaires ? Pas leurs « figures », mais leur réalité concrète ?

Je vous vois avancer, assez courageusement je dois le reconnaître, avec d’autant plus de vigueur que vous n’avez pas d’opposants – pour l’heure. Mais l’histoire ne peut jamais aller ainsi, sans difficultés ni problèmes. Vient toujours un temps où arrive une anicroche, une faute, à moins que ce ne soit la confluence des mécontentements. Vos ennemis, et plus encore vos amis, qui ont lié leur carrière à la vôtre, vont alors voir comment vous réagissez. Vous vous doutez bien que je ne vais pas vous conseiller en cette matière, étant moi-même dans l’incapacité d’aider mes « amis », dans l’état où je les vois !

Bref, avec vous, je perds un peu le sens de l’histoire. Un comble ! Je perçois dans votre démarche une Restauration moderne, un nouveau « Juste milieu » à la Louis-Philippe, un système de représentations communes de la société, l’opposé du Communisme que je prône, face à la révolution industrielle qui vient et qui devrait vous abattre.

Nous sommes donc face à face, même si je préfèrerais vous avoir de mon côté – surtout quand je vois ceux qui disent s’inspirer de moi ! Et si je vous souhaite d’échouer dans votre tentative économique, sociale et idéologique – je mesure aussi les risques que comporte cet échec. Qui donc le récupèrera : un « ancien » trotskyste (mais qui n’a rien oublié), une nationaliste forte ?

Voici donc, me direz-vous, une étrange lettre à un opposant dont je critique, et vante, le succès. Au fond, j’ai toujours été mal à l’aise avec ces Français trop brillants, comme l’était mon gendre, ce Lafargue qui a osé écrire « Le droit à la paresse ». Les 35 heures avant l’heure ! Mais vous, au moins, vous travaillez à les supprimer !