Cheval rouge, couleur sang : c’était l’annonce de la guerre. C’est maintenant Poutine qui le chevauche, avec sa large épée. Venant de Russie, il envahit l’Ukraine, avant d’aller en Moldavie ? en Géorgie ? puis de menacer la Pologne ? Pour déstabiliser l’Europe ? Jusqu’où, jusqu’à quand, et avec quelle paix pour l’apaiser ?
Cheval verdâtre : c’était la pestilence. C’est aujourd’hui la pandémie, le Covid. Venu de Chine, le virus galope à vive allure de par le monde, prenant très souvent l’avion, sautant au-dessus des « gestes barrières » et s’en moquant, eux qui prétendent l’arrêter. Va-t-il encore muter, pour nous échapper de nouveau ?
Cheval noir : c’était et c’est encore la famine. Le blé et l’orge manquaient et manquent. Le grain, stocké dans les silos ukrainiens, est volé par l’armée russe et transporté en Russie ou bien convoyé, en passant par Odessa, vers des amis syriens qui le payent aux Russes, avec un rabais. Que va faire ce cheval noir, quand il arrivera en Égypte et en Afrique ? Avec quelles conséquences sociales et politiques, avec quelles tensions et migrations ?
Mais où est donc le quatrième cheval, blanc, celui de la puissance et de la conquête, lui qui est normalement à la tête des autres et qui les guide ? Son retard est d’autant plus inquiétant que l’on ignore où il mènera cette incroyable cohorte : vers un nouvel empire romain plus vaste, à moins que ce ne soient les Perses qui l’attaquent, comme on le craignait à l’époque, ou qu’il ne s’agisse de construire un nouvel empire, ou encore, plutôt, d’aller vers la blanche paix, celle de Dieu, celle de ce christianisme « devant conquérir le quart de la Terre » ? Ce qu’il fit alors. Est-ce l’Islam, maintenant ?
Mais surtout, d’où vient aujourd’hui toute cette folle histoire de chevaux ? De l’Apocalypse de Saint Jean, d’une Révélation, dont le nom de l’auteur n’est pas certain, non plus que son degré de ferveur hallucinatoire, quand il écrivait ce texte étonnant. Pas de surprise surtout, si nous recourons aux mythes pour tenter de comprendre tout ce qui nous arrive, cette terrible accumulation de crises et quel en sera le résultat final. C’est en fait un aveu de désarroi. Dans ce monde qui devient plus interdépendant, plus riche et plus armé que jamais, voilà que vient en retard le cheval blanc du chamboulement des empires, à moins qu’il n’annonce la venue de la paix : allez savoir ! On comprend donc que l’on puisse s’intéresser à ces vieilles histoires, et à l’Histoire, pour tenter de savoir où tout cela nous mène.
L’Histoire nous donne en effet des exemples de tout, le mot de Valéry est connu, mais elle nous donne surtout une grande leçon : face à une montée des périls, il faut toujours agir vite, avant que le feu ne gagne. Pas la peine d’accumuler des preuves, pour se donner de bonnes raisons, du courage, ou plutôt du temps. Plus tard, on pourra toujours reprendre les alertes émises au début des années trente en Allemagne, critiquer la naïveté de Chamberlain ou le réalisme silencieux de Daladier, à moins qu’il ne fut l’habit de la couardise : « Les cons – il parlait des Français venus l’acclamer à son atterrissage – s’ils savaient ». Reste que nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas ce qui se trame actuellement devant nos yeux, même si nous ne pouvons dessiner de dénouement. Poutine veut défaire l’Europe, pour refaire le plus possible de son empire. Xi veut équilibrer l’empire américain par l’expansion de l’empire chinois, avec une demande interne forte, des « routes de la soie » solides et un renminbi aussi stable que le dollar. Les empires perse et ottoman veulent profiter de ce bras de fer entre les deux grands. Quant aux États dits Unis, tout tourne autour de la réélection de Trump, c’est-à-dire du pouvoir financier des Blancs. Pendant ce temps, les députés italiens font partir Draghi, les députés français jouent à creuser le déficit, en croyant faire des « compromis responsables » et les députés allemands demandent au Chancelier s’il préfère le nucléaire au gaz russe. Ce triste spectacle est partout, tandis que l’inflation monte et angoisse, occupant politiques et médias. Et les chevaux piaffent.
Peut-être que la récession, qui menace aux États-Unis et pointe ici, sifflera la fin de cette « récréation » ? Espérons-le, mais sachons-le : le cheval blanc de la paix ne s’avancera et ne barrera la voie aux autres, les forçant à reculer, que si son cavalier est courageux. C’est-à-dire : nous.