Dieu que le dollar est vieux et l’euro alambiqué, avec leurs prétentions à être sûrs et stables ! Que le bitcoin fait moderne, mi-informatique, mi-monnaie. Et que Libra avait un beau nom, avant de devenir : Diem, ce qui ne dit rien de son lendemain. Que l’UST sonne américain, lui qui se dit « monnaie stable » (stablecoin), en émettant et détruisant des « jetons Luna » (nous citons) selon une méthode qui lui est propre, tandis que le Tether répète depuis longtemps qu’il est, lui, « the » stablecoin !
Mais voilà que ce Tether qui se voulait si sérieux, lié au dollar :1 US Tether/US Dollar = 1$, frémit. Il avait tenu sa promesse de stabilité pendant des années, sauf ce 11 mai 2022, il perd 0,5% par rapport au dollar, autrement dit : rien. Mais… il n’aurait pas dû. En effet, créé en 2014, il devait présenter toute garantie de stabilité et de liquidité : tout dollar acheté contre Tether devait être gardé en banque, sauf une petite part investie en créances commerciales, afin de gagner quelque argent pour permettre à l’entreprise de tourner. Certes des bruits avaient couru sur la couverture de ses actifs, qui laisserait à désirer, sur le droit de l’échanger contre le dollar, qui ne serait pas si sûr, et sur la banque où les actifs seraient déposés, qui serait aux Bahamas – on parle quand même de 80 milliards de dollars. Mais nul n’est parfait, dans ce crypto-monde !
En fait, une rapide enquête a montré que ce frémissement de Tether venait du voisin : de la disparition du LUNA/Terra (UST), autre stablecoin, avec des algorithmes visiblement moins résistants. La sanction des marchés fut terrible, contre ce faux-frère : suite à cette attaque et comme au bout de quatre jours, il n’avait pas retrouvé sa valeur de 1$ promise, c’est qu’il ne valait rien (plus précisément : 0,0002$, soit -99,998%). Et comme, pour l’aider, la société qui l’abritait avait dû vendre ses bitcoins, un début de panique s’instaurait !
A qui se fier ? Ce Tether était devenu une sorte de modèle de stabilité dans ce monde fou… où tous les noms se ressemblent ! Il a satisfait à sa promesse dans la durée, ce qui lui a permis d’être la troisième capitalisation boursière de ces « nouvelles monnaies », avec près de 78 milliards de dollars, derrière 555 pour le Bitcoin et 235 pour l’Ether. Mais, ce Tether « stable » était devenu too big to fail, trop gros pour seulement vaciller. Tout étant relatif, il était le plus crédible de la famille, au point qu’on le jugeait, il y a quelque temps encore, comme « la banque centrale » de la communauté. Il incarnait leur monnaie de référence, celle qui équilibrait le tout, lissait les secousses.
Seulement voilà, Tether, troisième crypto-monnaie par importance, et seconde de celles qui promettaient d’être stables, venait de décevoir, au risque de faire exploser toutes les autres, dans ce monde plus anxieux que jamais ! C’en serait fini de toutes ! Il fallait donc sauver le soldat Tether : les traders spécialistes de l’arbitrage ont alors vite réglé le problème. Merci à eux, tandis que dans les coulisses, une autre stablecoin avance : l’USDC de Circle (une possible relève ?).
Oui, nous sommes déçus par ce Tether, pas si impavide au fond, face à la mort de son concurrent LUNA, et surtout inquiets pour les autres dans ce monde qui ne pardonne rien, entre guerres et inflation ! Sur un an, par rapport au dollar, le Tether a perdu 0,2%, ce qu’il ne devait pas faire, mais le Bitcoin a lui perdu 20% et l’Ether 15%. Certes, ils nous ont tous deux habitués à ces secousses. Seul le Binance s’envole à près de 300$ contre… 11 à la mi-août 2011, attirant tous les regards ! Jusqu’où ?
Terrible paradoxe : ces nouvelles monnaies cherchent la stabilité dans un monde qui s’en éloigne. Elles sont sans vraie surveillance, surtout aux États-Unis. Pour y tester la liberté et la rationalité ? Et au Salvador, un des pays les plus pauvres de la planète, le bitcoin est une monnaie officielle depuis 2021. Pour s’éloigner du dollar, qui lui fait de l’ombre ? Et en Centrafrique, le 27 avril 2022, le bitcoin est aussi reconnu comme monnaie officielle. Pour se moderniser ou s’éloigner du Franc CFA, en se rapprochant de Moscou ?
En fait, les vieilles monnaies résistent quand les « cryptos » inquiètent, par ces temps de krach boursier, de révolution technologique et de guerres. La stabilité, c’est aujourd’hui celle du plus fort. Rêver à un autre monde, faute de voir ce qui se passe, c’est préparer des cauchemars.