Les juges allemands vont-ils faire exploser la zone Euro?

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 Les juges allemands vont-ils faire exploser la zone Euro?

Exploser : peut-être pas. Ralentir : sans doute, en plein COVID-19 ! La faire réfléchir : pourquoi pas ?

Bataille de robes ?
Tout ceci commence le 5 mai 2020 à Karlsruhe : voilà les Juges en robes et mortiers rouges du Tribunal constitutionnel fédéral allemand qui trouvent « incompréhensible » et « arbitraire » le jugement de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), une Cour qui est au-dessus d’eux ! La raison ? La Cour Européenne a approuvé les achats de bons de trésor par la Banque Centrale Européenne (PSPP : Public Sector Purchase Program) pour faire baisser les taux longs et soutenir la croissance. Pourquoi donc ces critiques allemandes sur la Cour Fédérale ? Parce qu’elle contredisait leurs réticences précédentes ? Oui certes, mais au-delà des batailles d’égos, la Cour Allemande avance que la Cour Européenne a agi au-delà de son mandat : ces achats n’obéiraient pas au « principe de proportionnalité ».

Selon ce principe, toute politique de la BCE doit être réalisée selon des objectifs précis et à comparer à ce que donneraient d’autres interventions. Les juges allemands ont-ils en tête des réformes, par exemple la flexibilisation du marché du travail ou une gestion plus serrée des dépenses publiques dans certains pays du sud, plutôt qu’un « renflouement » par la BCE ? Ils ne le disent pas. Ils ne peuvent juger que ce qui a été fait, pas ce qui aurait pu l’être. Surtout, ils jugent dans le cadre allemand. Or, dans ce cadre, ils voient les effets de la politique de la BCE : montée des prix des logements, rendements négatifs des obligations allemandes, baisse de la rentabilité des banques. Ils se demandent alors : à qui donc, en Allemagne, ceci profite-il ? Est-ce que gains et risques sont équilibrés ? Faute d’obéir au principe de proportionnalité, ces achats ne seraient pas liés à une politique monétaire : stabiliser l’inflation, mais plutôt à une politique économique et sociale : aider l’Espagne et l’Italie, par exemple. Ceci avec les risques que cela comporte pour les pays « sérieux ».

Bataille de Banques centrales ?
Derrière ce jugement, on aura reconnu la bataille entre la Banque Centrale Européenne et la Banque Centrale Allemande (BUBA) ou entre Jens Weidmann (BUBA) et Mario Draghi (BCE). Cette fois, l’attaque des « robes rouges » ne peut rester sans réponse. La BCE se fend d’un court texte le 5 mai après-midi. « La BCE prend note du jugement rendu… Le Conseil des gouverneurs reste pleinement engagé à mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires, dans le cadre de son mandat, pour garantir… la stabilité des prix à toutes les composantes de… la zone euro ». Mais elle a trois mois pour démontrer qu’elle suit « le principe de proportionnalité » Va-t-elle répondre ? Comment ?

Batailles de responsables politiques ?
Les critiques politiques fusent. En Allemagne, beaucoup sont surpris du ton, faisant remarquer qu’un des plaignants, Bernd Lucke, Professeur d’économie, est un des fondateurs de l’AFD, parti très à droite et anti euro. Un habitué. Mais c’est cette Cour Européenne qui a énervé les Brexiters. Pire, ce jugement intervient au milieu de désirs polonais et hongrois de s’émanciper d’une surveillance fédérale. De leurs côtés, Giuseppe Conte, Premier ministre italien et Bruno Lemaire s’inquiètent du financement des programmes européens de relance. Phil Hogan, le Commissaire Européen au Commerce dit que tout sera fait pour assurer « la suprématie de l’Union Européenne » : c’est le minimum.

Batailles de marchés financiers ?
Surpris, les marchés financiers réagissent par une baisse de l’euro et une remontée des rendements longs, sans plus. Ils remarquent que les juges ont attaqué le PSPP, pas le PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme, lié au COVID-19) lancé après, où le « principe de proportionnalité » sera difficile à démontrer. Financer plus les moins efficaces ?

Batailles futures
Fini de rêver à une « dette perpétuelle européenne » ou à l’« annulation de la dette publique détenue par la BCE ». C’est mal ? L’Allemagne et la Hollande, pour les relances post-COVID-19 avec le soutien de la BCE, demanderont un suivi strict. C’est mal ? Rembourser implique qu’il faudra plus de croissance. C’est mal ? Certes les juges allemands s’occupent d’eux, mais si l’on applique « le principe de proportionnalité » au niveau de la zone, est-ce bien de penser que la BCE achètera toujours tout, sans effort de notre part ? C’est cela qui pourrait faire exploser la zone.