La nature…
Avec elle, il fallait un à trois milliards d’années pour que naissent les diamants, à dix kilomètres sous terre puis qu’ils remontent, en fonction de soubresauts telluriques. On les retrouvait alors, en creusant profondément quand même, avec beaucoup d’efforts, de peine, d’eau, d’investissements et de luttes pour la propriété des gisements. Extraits en Afrique du Sud notamment, puis au Botswana et au Congo… ils étaient coûteux à trouver, avant d’être scrutés, pesés, soigneusement taillés et gardés.
Pourquoi gardés ? La réponse n’est pas physique, puisque le diamant ne bouge pas, mais entrepreneuriale, avec la naissance de la société De Beers en Afrique du Sud en 1888. Nous sommes dans la région de Kimberley où le premier diamant est découvert en 1861. De Beers rafle la mise en achetant presque toutes les mines du pays, venant à contrôler, à la fin du XIXème siècle, 90% de la production mondiale. La raison de ce succès est aussi le marketing, faisant du diamant le symbole de l’éternel amour, avec notamment la bague de fiançailles.
Mais ce marketing, qui promet la constance des sentiments, ne fait pas tout : la finance assure surtout celle de la valeur des pierres. Comment ? Le secret est que De Beers stocke toute la production et en contrôle la vente par des enchères qu’elle organise auprès de gros clients sélectionnés (les sightholders) en fonction de la demande qu’ils expriment. Ils donnent leurs demandes en carats, qu’ils s’engagent à acheter, De Beers fixant le prix. De Beers crée ainsi la « rareté » du diamant : offert, il devient un actif familial, avec peu de revente. Les ruées vers le diamant ont alors lieu, faisant découvrir des gisements en Russie, dans d’autres pays d’Afrique, en Australie et au Canada, mais sans que la puissance de De Beers sur le contrôle des prix des gemmes ne soit remise en question. Ceci permet au prix du carat de se maintenir par-delà les crises et les guerres, jusqu’en 2022.
La nature… ou l’électricité ?
Qu’arrive-t-il alors ? Le 16 février 1953 à Stockholm est fabriqué le premier diamant de laboratoire, avec une technique gardée secrète. En 1954, General Electric répète l’opération et la rend publique : l’ère du diamant synthétique commence. Tout change, puisque le travail de la nature peut être fait en quelques semaines et sur commande. Le cartel qui stabilisait les prix ne peut plus résister aussi facilement. En plus, ce choc n’est pas seul. Le symbole d’amour, plus la réserve de valeur, souffrent de la baisse du nombre de mariages, notamment en Chine, maintenant en pleine crise immobilière qui affecte les banques locales. Plus le Covid.
Le diamant n’est plus symbole de continuité des sentiments quand le nombre de divorces explose, quand les jeunes générations américaines s’inquiètent des « diamants du sang » censés financer des coups d’état en Afrique, et se montrent très ouvertes à un bijou synthétique moins cher, plus écologique (même si c’est discuté… par les diamantaires). Ceci sans compter les interrogations qui pèsent sur le moral. Pas de surprise donc si le carat qui atteignait 14 300 euros en 2012, en approche 2 000.
Diamants naturels et de synthèse peuvent-ils cohabiter ?
Les chiffres sont problématiques. Selon certains, la part de marché des diamants de laboratoire serait de 20%, contre 2 à 3 % en 2019. Selon d’autres sources, le marché devrait passer de 26 milliards de dollars en 2024 à 45 en en 2034 pour le synthétique, soit une progression moyenne annuelle de 5%, sachant que le marché mondial du diamant naturel est estimé à 240 milliards de dollars pour aller à 440 aux mêmes dates. Dans ce contexte, la structure du marché ne bougerait pas : 90% naturel,10% synthétique. Étrange, car le prix du diamant synthétique baisse plus vite que celui du naturel et que l’on entend que De Beers, acheté en 2009 par Anglo-American, groupe produisant surtout du cuivre, la met ou mettrait en vente. Il est plus intéressé par le cuivre, dont la demande explose avec la révolution technologique en cours, que par le diamant dont le prix implose, avec la « vieille » invention de 1953.
Le cuivre préféré au diamant ?
Ils sont moins éternels, ces diamants, par ces temps où changent les techniques et les mœurs. La structure marketing-finance, qui avait fait le succès de De Beers avec les sightholders, inquiète maintenant : le marché est bien moins porteur. Elle va peut-être se voir achetée par l’anglo-australienne BHP, ou un fonds. Le cuivre éternel ?
