Les actionnaires deviennent-ils des révolutionnaires ?

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 Les actionnaires deviennent-ils des révolutionnaires ?

Où sont donc passés ces spéculateurs attirés par le profit, le dividende et la montée des cours ? Ecoutons désormais ces nouveaux cris boursiers !

Mort aux trafiqueurs de comptes ! C’est la réaction, plus rapide que jamais, déclenchée par la moindre rumeur, le plus petit article, la moindre hésitation des commissaires aux comptes à signer le bilan. Aussitôt, Muddy Waters s’éveille. « Eaux boueuses » : un nom qui ne s’invente pas, pour une société de « vente à découvert » d’actions, dont la seule idée est d’en faire chuter la valeur ! Ils étudient longuement un groupe dont les résultats leur semblent gonflés. Puis… ils en empruntent des titres. Puis ils entrent en guerre en claironnant leur étude, et vendent les actions qu’ils viennent d’emprunter ! Aussitôt, les « nouveaux actionnaires » suivent : mieux vaut perdre un peu aujourd’hui que plus demain ! Alors, le groupe qui a « vendu à découvert » rachète ces actions, qui ont beaucoup perdu, les rend au « gentil » prêteur et empoche la différence. Les « nouveaux actionnaires », plus vite que jamais, lui ont fait doubler la mise : merci à eux. Wirecard en juin 2020, la plus importante fintech allemande, qui valait plus en bourse que Deutsche Bank, est aujourd’hui en faillite !

Vivent les petites sociétés agressées par les puissantes ! Mais aujourd’hui, pour vendre à découvert, il faut être sûr de son coup et ne pas s’attaquer à une société certes en difficulté, mais honnête. Alors, les « nouveaux actionnaires » vont se transformer en justiciers et le vendeur à découvert fera faillite. C’est ce qui est arrivé au fonds Melvin Capital qui s’en prend à GameStop, une sympathique chaîne de vente de jeux électroniques, pas assez moderne. Melvin annonce qu’il la vend à découvert, pariant être suivi, comme « d’habitude ». Mais des traders individuels se regroupent et font monter le cours du titre. Sa valeur devient astronomique, sous la houlette de Robinhood (ce qui ne s’invente pas plus que Muddy Waters !) et le fonds Melvin… fond !

Vivent les sociétés qui sont Responsables, Socialement et Économiquement ! RSE est le concept clef pour ces actionnaires soucieux de hiérarchie des salaires, des bonus du PDG, de promotion sociale, d’égalité homme-femme et d’écologie. Désormais, ils demandent à Total la neutralité carbone au plus vite, ce qui aurait paru insensé il y a cinq ans. Et voilà Total… Énergies, on verra après !

Vivent les entreprises qui n’oublient pas le profit au nom du social, car il en faut… beaucoup, pour faire du social ! Danone est le dernier exemple de cette demande assez contradictoire, les « nouveaux actionnaires » ne perdant pas le sens du réel. Danone se veut entreprise à mission : « apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre », mais deux « fonds activistes », avec quelques pour-cent du groupe seulement, critiquent le PDG. Les raisons ? Les faiblesses des résultats, des investissements en recherche et en marketing, donc du titre. Ceci jusqu’à l’éviction du PDG, mais sans mettre en cause les généreux objectifs de la firme. Ces « nouveaux actionnaires » ont une fibre plus sociale, ce qui implique plus de profit !

Vivent les entreprises qui payent au moins 15% d’impôts sur leurs bénéfices ? C’est la question du moment. Le G7 Finance des 4 et 5 juin à Londres s’est conclu par un accord de principe sur un taux fiscal minimal mondial des grandes entreprises à 15%. C’est la suite d’une longue démarche internationale contre les « érosions » des marges imposables, par déductions excessives de frais, et surtout contre les « transferts » des résultats (qui demeurent) vers des pays qui taxent peu ou pas. Bien sûr, les grandes entreprises, qui devront aussi diffuser plus d’informations sur une base nationale, selon ce même G7 Finance, vont déployer des trésors d’arguments contre ces mesures. Et de petits pays vont alors jurer que leur fiscalité faible est leur vraie arme, pour résister aux « forts ». On verra, au G20 qui s’annonce, comment la Chine va réagir, elle qui centralise les profits de toutes ses entreprises, et pas seulement ceux de ses GAFAM, les BATX : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi. Les « nouveaux actionnaires » seront aux premières loges, eux qui se lassent de Tesla et d’Elon Musk !

Et si tout se complique plus, ces « nouveaux actionnaires » vont-ils regretter « le monde d’avant », celui de la maximisation du profit à court-terme ? Ils deviendraient, horreur, de « nouveaux ré-actionnaires » !