La France est la seule puissance nucléaire de la zone euro. Personne n’en parle, c’est donc sans importance, à moins que cela n’explique tout ce qui se passe en France et ailleurs. Qui sait ?
Or la France est, de fait, le seul pays qui peut protéger la troisième économie du monde, un monde plus incertain, plus difficile. Pourquoi ne pas renforcer nos capacités de défense, au moment même où les Etats-Unis, sous la houlette de Donald Trump, demandent à chacun de faire des efforts ? Pourquoi, non plus, ne pas renforcer ce rôle unique, au moment même, où, avec le Brexit, l’autre puissance nucléaire quittera bientôt l’Union Européenne ? Pendant combien de temps allons-nous, en zone euro, sous-estimer la nécessité de nous défendre ? Voilà une puissance aussi riche qu’incomplète, une grande place de marché qui aurait oublié de bâtir des protections autour. Ceci ne pourra durer.
Dans la présidentielle française, on comprend ce silence. Il permet d’éviter l’essentiel. Le quinquennat actuel a montré l’importance d’une armée puissante, son rôle contre le terrorisme en Afrique et pour le maintien de la société civile. Il a aussi montré ses limites, techniques et humaines : les matériels s’usent, les hommes plus encore. Il a également montré l’excellence de notre industrie de défense et son rôle dans les échanges commerciaux, et politiques, avec nombre de voisins et d’alliés. Depuis quelque temps, les candidats à la présidentielle reconnaissent notre retard d’investissement en matière de défense, même si la France est le meilleur élève de la zone euro ! Ils s’engagent à dépenser l’équivalent de 2% du PIB (retraites militaires comprises) sous quelques années. Dépenser plus pour se protéger mieux : enfin !
Ceci est raisonnable, mais insuffisant. Il s’agit d’aller au-delà d’un rattrapage, en ne demandant surtout pas plus de « compréhension » pour le déficit budgétaire accru qui s’ensuivrait. Il s’agit de construire des équipements militaires compatibles entre les divers pays de la zone euro, de sorte que chacun cesse de chercher des caractéristiques particulières pour ses avions, tanks, bateaux ou fusils – à moins qu’il n’aille faire ses courses aux Etats-Unis. Une zone « euro puissance » est indispensable à côté d’une monnaie, d’une économie et d’une société humaine plus intégrées. Elle doit être complète. Il ne s’agit pas de demander aux membres de la zone euro d’« aimer l’euro », mais de comprendre qu’il est le moyen de leur protection, dans un futur plus trouble, mais en complément d’une union plus forte et, disons le mot, plus aguerrie. Ceci permettra de faire en sorte qu’entre Grèce et Allemagne, en passant par la France, on perçoive les vrais enjeux.
Car c’est parce que la France est la seule puissance nucléaire de la zone euro que les candidats peuvent promettre, bientôt, de réduire les déficits excessifs du pays, moyennant un creusement temporaire, bien sûr, pour mieux repartir et à d’autres de les creuser, mais pour le bonheur de tous. Les Allemands s’interrogent, les marchés réagissent peu et la Commission Européenne promet d’être vigilante. Quel théâtre !
En fait, cela fait des années que la France tire sur cette corde militaire, sans jamais le dire, pour ne pas mettre ses comptes publics en ordre. Elle profite, avec l’euro, de la garantie implicite de l’Allemagne et, avec Mario Draghi, d’un acheteur régulier de sa dette publique pour 12 milliards par mois. Avec plus de 250 milliards, il en détient 15% et a promis de la garder et de continuer ! Un an peut-être, pas un quinquennat.
Pendant ce temps, le risque de destruction interne de la zone euro avance en France, en passant par les extrêmes. A l’extrême-gauche, des candidats veulent sortir du « carcan de la monnaie unique » en « renégociant les Traités ». A l’extrême-droite, d’autres parlent de la Lex Monetae qui permet à chaque pays de libeller comme il l’entend les contrats signés sur son sol. Revenons donc à un « nouveau nouveau Franc » ! Ce serait donc aussi simple ? Non, car la France aurait, entretemps, été déclarée en faillite sur sa dette publique. Pourquoi ? Parce que la valeur des contrats n’aura pas été maintenue. Le « nouveau nouveau Franc » sera un euro dévalué et la redénomination de la dette ne pourra qu’alourdir le fardeau de tous, la confiance perdue.
Et si nous revenions sur cette terre ? En reconnaissant les risques, mais aussi nos forces. Il ne s’agit pas de préparer la guerre, mais surtout de vouloir vraiment la paix.