L’effacement civilisationnel des États-Unis d’Amérique

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 L’effacement civilisationnel des États-Unis d’Amérique

La Maison Blanche, alias le Président Trump, vient de publier « sa » Stratégie de sécurité nationale (NSS : National Security Strategy). Ces trente pages ont fait grand bruit. Elles résument la nouvelle stratégie mondiale du pays, en fonction de ses objectifs (de Trump), de ses forces (selon Trump) et de ses faiblesses (imputables à ses prédécesseurs). Le texte est écrit dans un anglais simple et direct, sans calcul diplomatique : c’est en cela qu’il est autant trumpique que problématique. Quand la première puissance du monde met en effet son principal objectif dans America First, c’est inquiétant pour ses amis, ses alliés, actuels et futurs. Ils se demandent comment s’appliquera cette préférence. Seront-ils soutenus, oubliés, abandonnés face aux autres puissances en expansion : Chine, Inde, Turquie, Russie… ?

Candidement, le document s’explique : les États-Unis n’ont plus les moyens financiers, économiques et donc politiques de « financer simultanément un État providence, réglementaire et administratif massif, ainsi qu’un complexe militaire, diplomatique, de renseignements et d’aide étrangère tout aussi massif ». Au-delà de l’aveu de ces difficultés de fin de mois, l’explication de la position de Donald Trump est double.

La première est logique : c’est le « hasard moral » qui joue, cet effet pervers qui fait que l’assuré par les États-Unis prendra plus de risque. Les « dividendes de la paix », ces doux fruits des investissements militaires américains, permettent aux autres de mieux vivre et de plus consommer. Les États-Unis réduisent donc cette assurance implicite : elle leur rapporte d’autant moins que le risque de guerre augmente, ses « assurés » étant plus exposés à un Poutine agressif. Trump est bien plus clair que Barack Obama avec son « pivot vers l’Asie », trop doux. L’avenant au contrat est envoyé : aux Européens de se défendre.

La deuxième explication est la nouvelle hiérarchie des composantes de la puissance selon Trump. Le soft power arrive en septième position, après le système politique « agile » (autrement dit : changeant), l’économie, la finance, la technologie, l’armée, le réseau d’alliances, la situation géographique et les ressources naturelles, juste avant quand même « le courage, la volonté et le patriotisme du peuple américain » !

Mais sous-estimer le poids du soft power est l’erreur majeure de ce texte : les États-Unis sont puissants parce qu’on les aime, les copie, les envie. La statue de la Liberté attire parce qu’elle éclaire, sachant qu’elle peut toujours s’attirer aussi des ennuis, des ennemis, des espions. Elle augmentera alors ses tarifs et vérifiera les entrées chez elle. Tout le monde comprendra que pour entretenir et renforcer le soft power américain, il faut renforcer sa base, la diversité des talents qui ne désirent rien tant que de participer à son effort de croissance.

Or, dans ce texte, tout est question de hard power, de souveraineté de l’état nation, seul capable d’avancer, car de décider. Pas de surprise donc s’il s’agit d’empêcher l’érosion de la souveraineté américaine « par des organisations transnationales et internationales », on aura peut-être reconnu l’Union européenne et l’ONU. Pas de surprise non plus s’il s’agit « de restaurer la prééminence américaine dans l’hémisphère occidental » et « d’encourager l’Europe à corriger sa trajectoire actuelle ». Affaiblir l’Europe puissance ? Mais sommes-nous alors dans le respect de la souveraineté des nations, ou en pleine contradiction, s’il s’agit de les empêcher de s’unir et de choisir leur voie ?

Plus problématique est alors la concentration des pouvoirs financiers, propulsée par la révolution technologique en cours. Elle passe des « vieux » GAFAM aux BAATMMAN : Broadcom, Apple, Amazon, Tesla, Microsoft, Meta, Alphabet (maison mère de Google) — et bien sûr NVIDIA. Donald Trump en vient maintenant à unir ces mastodontes à ceux de la communication. Il soutient Paramount qui lance une OPA à 106 milliards de dollars pour acheter Warner Bros contre celle de Netflix, qui en offre seulement 80. Car leur « part (de marché, si le mariage se faisait) pourrait poser problème » va-t-il à dire !

Non, les États-Unis ne sont pas isolationnistes dans cette lutte des grandes nations-groupes capitalistes (Chine et Russie incluses). A nous de sortir de ce nouveau Yalta, en nous renforçant. Aux USA de voir qu’ils risquent eux-mêmes de s’effacer, en perdant leur attrait. Mortel pour nous et pour eux.