Le FMI : catastrophique ou machiavélique ?

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Avec ses propositions pour « aider » la zone euro, le FMI est entré dans l'histoire des pires erreurs de politique économique d'après-guerre. Il a en effet proposé de réduire les déficits budgétaires de tous les pays en crise par des hausses d'impôt d'abord, des réformes de structure ensuite. Il a alors plongé les pays du "sud" - Grèce, Portugal, Espagne, Italie, plus l'Irlande, dans une crise qui a réduit d’au moins 10 % leur PIB, les menant à des taux de chômage sans précédent, au bord de la révolte sociale et antiparlementaire, dans un ajustement si long qu'il est en passe de devenir insupportable. Et pourtant...

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Et pourtant, comment comprendre une telle erreur ? Et comment oser dire qu’il faut, peut-être, s’en féliciter ?

0,5 : pour commettre ce qui, de l’aveu même du FMI, est une grave erreur, le FMI a pris comme hypothèse qu’un prélèvement de 1 euro par l’impôt ferait « seulement » perdre 0,5 euro de PIB. Autrement dit, le multiplicateur fiscal était supposé de 0,5. C’était la valeur « habituellement » retenue dans les calculs. Pour revenir à des niveaux soutenables de dette publique, le FMI a alors « vendu » non seulement aux marchés financiers, mais surtout aux politiques, l’idée que le coût d’ajustement serait de 3 à 4 points de PIB. Il a ajouté que ce choc serait amorti par des baisses de taux de la BCE, autant que possible, plus des crédits du FMI et des pays de la zone. Bref tout ceci serait compliqué mais « gérable », évitant au pays la faillite et  l’exclusion.

Ce qui n’était pas prévu, c’est le vrai prix social et économique des mesures. Il s’est agi en effet d’une crise qui a mené les pays aux bords de l’explosion régionale (Espagne, Belgique, Pays-Bas) ou sociale (Grèce). Au dernier moment cependant, chacun était « rattrapé » par la peur du vide – celle de sortir de la zone euro. Mais avec quel trauma et quelles séquelles sur la croissance future ! Le risque de la décennie perdue, comme le Japon, fait partout son apparition, alors que la promesse de l’euro était de faire de la zone une des régions les plus prospères du monde…

Ce qui s’est passé, c’est que les politiques administrées se sont avérées deux à trois fois plus violentes que prévu, sans être pour autant suffisantes !

Pourquoi ? Techniquement parce que le « multiplicateur fiscal » de 0,5 a été en réalité de 1 en moyenne, allant parfois à 3. Pour un euro prélevé pour rééquilibrer les comptes publics, 3 de perdus ! Les techniciens du FMI expliquent cette « erreur de prévision » :

– en disant que les taux d’intérêt de la BCE avaient trop peu baissé, renforçant d’autant la pression fiscale – mais ils savaient que la BCE n’était pas la FED ;

– en soulignant que les politiques restrictives avaient lieu partout en zone euro – mais ils le savaient, et ils savaient aussi que ces pays étaient surendettés.

Ainsi, avec ces allées et venues des Troïkas et ces nuits blanches de l’Eurogroupe, le FMI a été à l’origine intellectuelle, morale et politique d’une potion trois fois plus violente qu’annoncé. Catastrophique ou machiavélique ?

Catastrophique vont dire les eurosceptiques, sauf si c’était la seule manière d’aller vite et d’éviter le pire. Sauf si c’était la seule façon de mener, en quelques mois, ces réformes sur la formation des salaires et les retraites, sur le droit social et celui des sociétés. Sauf si c’était la façon de faire accepter aux Etats des réformes qu’ils n’auraient jamais imaginées autrement.

Cette triple dose du FMI a ainsi conduit à trois résultats :

– montrer qu’en zone euro les pays en grave perte de compétitivité ne peuvent se sortir d’affaire que par des baisses de salaires et que ça marche – regardons l’Espagne ou l’Irlande, avec le rpix payé,

– montrer que les autres pays, notamment l’Allemagne, les soutiennent dans ces programmes et ces épreuves, pour éviter l’explosion,

– faire en sorte aux yeux de tous que la « partie qui reste » à ajuster, soit la réforme de l’Etat, seule vraie source d’économie et d’efficacité.

C’est là que nous sommes. Au fond, que le FMI ait commis une erreur ou ait été machiavélique, ou toute combinaison des deux, il a d’abord fait faire les reformes privées, notamment les plus dures, mettant aujourd’hui les sociétés civiles face à la modernisation de leurs puissances publiques, puissamment protégées on s’en doute.

L’impossible étant fait, reste seulement le plus dur. Tous comptes faits, merci, FMI !

Il nous faut, en France, en comprendre la leçon : la compétitivité privée ne peut suffire, si l’Etat ne se modernise pas et veut continuer à augmenter les impôts… pardon : les « contributions » !