Le dernier déjeuner, après le dernier Conseil des Ministres

- Ecrit par

 Le dernier déjeuner, après le dernier Conseil des Ministres

Après un dernier Conseil à la fois gai, pour cause de victoire d’Emmanuel Macron, et inquiet, pour cause du chômage qui va frapper certains des participants, le Président invite chacun à parler, dans le jardin de l’Elysée.

Emmanuel Macron : Chers amis ou, comme on dit maintenant : « chères amies, chers amis », pour n’oublier pratiquement personne, j’ai vivement souhaité cette réunion. Je demande donc à chacun de me dire son sentiment profond, quel qu’il soit.

Jean Castex : Permettez-moi, cher Président, de prendre la parole « le Premier », avant « la Première » !

Tous rient

Jean Castex : Merci… prendre la parole pour vous féliciter d’abord de votre belle victoire et pour nous souhaiter ensuite, à chacun, la victoire dans sa circonscription, afin de renforcer encore et partout le LREM. Nous vivons une période politique unique : notre pays est dirigé à partir du centre ! D’habitude, une élection se gagne depuis la gauche ou la droite, puis s’étend en se « centralisant », jusqu’à faire basculer ce fameux « électeur médian ». Décisif, il décidera de tout, selon les bons livres de Sciences Po. Mais plus maintenant !

Eric Dupont-Moretti : Effectivement : ce qui se passe est sans exemple, donc : fragile. Un parti dominant au centre, nous, sans alliance problématique : j’espère que ceci durera, mais c’est nouveau. C’est l’inverse du fameux théorème de Malraux : « entre nous et les communistes, il n’y a rien ». De fait aujourd’hui, de chaque côté, à partir de nous, il n’y a plus rien et il faut « marcher », si je puis dire, jusqu’aux deux extrêmes, pour trouver du monde, coalisé autour de Mélenchon !

Bruno Le Maire : Mais ce qui arrive ici, se passe aussi ailleurs ! La modération a quitté la démocratie. Les dictatures s’étendent, en Russie bien sûr et aussi en Chine, sans compter les démocratures qu’elles couvent. La guerre en Ukraine a révélé sinon leurs alliés, du moins ceux qui en ont besoin et surtout en ont peur.

Clément Beaune : Moi, ce qui m’inquiète, c’est l’Allemagne. Pour aider l’Ukraine, ils n’ont pas hésité à lui envoyer… des casques, puis un hôpital de campagne. Ils commencent à penser à des tanks ! Mais ils ont toujours besoin du gaz russe, et pas question de prolonger la vie de leurs centrales nucléaires : leurs Verts préfèrent la houille. Bonjour, l’autonomie stratégique et la solidarité européenne !

Jean-Michel Blanquer : Ne soyez donc pas, tous, aussi géopolitiques et abstraits. Et c’est moi qui le dis ! Regardez-les, nos concurrents politiques : tous cherchent un point de chute, pour vivre, autrement dit pour se faire rembourser le restaurant. Bien sûr, ils ne sont pas d’accord entre eux, à droite et surtout à gauche : seul l’antimacronisme les unit, d’autant qu’ils savent que le Président ne pourra pas se présenter, lui, mais qu’eux le pourront. Il faut donc se préparer ici à une bataille d’appareils, plus encore que d’idées. Les jeunes sont contre nous. Heureusement, ils ne votent pas beaucoup. Mais dans cinq ans : seront-ils toujours contre nous, toujours dans l’abstention ? C’est d’eux que dépend notre futur.

Elisabeth Borne : Que c’est vrai ! La présidentielle s’est jouée dans ce monde convulsif, mais on n’a parlé que du SMIC et des retraites ! Et sans creuser les sujets. Autrement, on aurait été bien obligés de se demander, tous, comment payer des salaires plus élevés dans une PME ou une TPE, comment être vert quand on est boucher ou ouvrier dans une usine d’autos, ou comment payer plus et plus longtemps des retraites, quand il y aura plus de retraités et moins de cotisants. Rien !

Emmanuel Macron : Je suis d’accord avec vous : heureusement qu’ils me haïssent plus qu’ils n’ont d’oppositions et de haines entre eux. Sans moi, pas d’Union populaire ! Après, est-ce qu’ils seront tous toujours opposés à tout ce que nous proposerons ? Comment avancer dans ce monde en guerre ? Car ce qui se passe est très grave, vous le savez. Ces discussions sur les salaires en pleine révolution technologique et tension avec la Chine, sans parler de formation, ni des oppositions croissantes avec nos amis africains, ni des cyberguerres et des fake news, c’est surréaliste ! C’est pourquoi j’avais ce visage, pas arrogant mais ébahi, face à Mme Le Pen. Elle et Mélenchon, c’est notre divertissement pascalien.

Tous : Cher Président, voilà une référence qui nous aide peu.

Emmanuel Macron : Ma manie ! Je voulais dire : notre Majax !

Tous (rient) : Excellent : c’est ça qu’il faut !