C’est le dernier jeu à la mode : critiquer et, mieux encore, moquer tout choix de nos dirigeants actuels, sans jamais les analyser. Et comme plus rien ne va bien et simplement de nos jours, tout ce qui est proposé, significatif ou minuscule, est immédiatement dénoncé par les médias, puis par les sondages, puis par les opposants, puis par les Françaises, puis par les Français. Le CNR, Conseil National de la Refondation, n’échappe pas à cette moulinette. Il est raillé pour son sigle, excessif ou profanateur, condamné à l’impuissance par les absences de certains invités, dénigré par le flou de son programme et de son organisation. C’est même « un machin » nous dit le Président Hollande, qui s’y connaît.
Le plein emploi et la croissance, l’école, la santé, le « bien vieillir » et la transition écologique : ces « problèmes » que ce CNR va étudier ne peuvent être résolus miraculeusement. Il faut les faire mûrir, en les éclairant sous divers angles. Il s’agit d’avancer de manière plus souple que dans les postures officielles que chacun doit prendre, sous les projecteurs, dans notre société du spectacle. Bien sûr, on pourra traduire « plein-emploi et croissance » en : « plus ou moins d’allocations chômage », ou en « âge de la retraite plus ou moins reculé ». Mais il n’est pas sûr que ces traductions augurent bien de discussions s’inscrivant dans le long terme, menées entre des politiques plus soucieux de leur prochaine élection que des prochaines générations. Évidemment, les critiques feront la liste des erreurs de prévision passées des experts et des leaders, politiques et privés. Mais, prévoir c’est accepter de se tromper, surtout dans ce monde imprévisible, c’est écouter et discuter, pour se préparer à corriger. Plus encore, dans ce monde violent, il faut réunir les points de vue et faire tomber les silos de responsabilités et d’intérêts, pour unifier autant que possible.
Plus que jamais aujourd’hui, les différences deviennent oppositions, oubliant qu’il faudra bien un jour aligner les « solutions partielles » qu’envisage chacun avec les questions écologiques et les tensions géopolitiques, plus les menaces qui pèsent sur l’Europe, pour s’en sortir. Voilà qui promet, sinon on traduira encore « école » en effectifs et salaires de fonctionnaires, sans parler de genre et de race ! Ou alors « santé » débouchera sur les déserts médicaux et « bien vieillir » sur euthanasie ! Il est impossible de prévoir le pire, ce qui ne sert à rien d’ailleurs, mais la tendance est toujours de retenir des hypothèses assez favorables, sous prétexte d’optimisme. Le courage est ailleurs.
Le cas de la retraite est exemplaire de ce biais. Le rapport de juin du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) était rassurant : « malgré le contexte de la crise sanitaire et le vieillissement progressif de la population française, les évolutions de la part des dépenses de retraite dans le PIB resteraient sur une trajectoire maîtrisée à l’horizon de la projection, c’est-à-dire 2070 ». Et ceci s’expliquait, benoîtement, parce que « la pension continuerait de croître en euros constants, mais moins vite que les revenus, du fait des mécanismes d’indexation du système de retraite sur les prix ». Avec évidence ceci n’a pas été lu, sachant qu’on n’imagine mal, sans réaction des syndicats, cette paupérisation. Pas bien lue non plus, la note des experts du Haut conseil des finances publiques qui chiffre autour de 1% la croissance potentielle française à moyen terme, avec la possibilité de passer à 1,2% grâce à des réformes, notamment des retraites. Mais elle alimente le dernier rapport du COR, qui annonce 25 années de déficit !
Et voilà la démographie, l’agriculture, l’industrialisation, le commerce extérieur, la dette covid, et toutes nos dépendances et fragilités : il y a de quoi débattre pour trouver des idées qui sortent des divers sentiers politiques battus… à plate couture. Nous avons besoin du courage des solutions simples, car ce sont en fait les plus exigeantes : formation permanente de qualité pour la croissance et l’emploi, ce qui réduit les inégalités et la sous-qualification, acceptation des nuisances et des contraintes qu’amènent les nouvelles énergies, car faute de pétrole et de gaz, il n’y a pas de croissance sans électricité, etc.
Enterrer le CNR pour affaiblir Macron est plus dangereux que facile. La démocratie, c’est toujours le compromis sans la compromission : par le CNR, ou autre.