Le Centre politique est-il économiquement possible ?

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 Le Centre politique est-il économiquement possible ?

© Richard Ying et Tangui Morlier

 

Les politiques veulent le pouvoir : c’est leur raison d’être, au-delà de leur définition. Pour cela, dans les démocraties, ils doivent être élus : c’est leur condition de survie. Et pour être élus, il leur faut obtenir la majorité des voix, voix qui doivent venir du Centre pour faire la différence. Un Centre éloigné des positions extrêmes, à droite ou à gauche, assez mais pas trop : c’est « mathématique ». C’est alors ce Centre qui fait, politiquement, la différence. Mais il doit durer. Comment ? Combien de temps ?

Vient en effet l’économie, qui complique cette quête et en fragilise le résultat : elle ne sait d’ailleurs faire autrement. Les ménages veulent des produits et des services nouveaux, en liaison avec le jeu conjoint de l’innovation et de la concurrence, mais avec des prix qui augmentent peu, grâce à la concurrence, tandis que les entrepreneurs veulent avancer, grâce à l’innovation et aux profits, mais sans trop augmenter les salaires, du fait de la concurrence. Facile ! Le partage entre salaires et profits transcrit ces tensions politiques, en montrant d’où elles viennent. C’est en cela que l’économie est toujours politique.

Les électeurs du Centre, situés en général au milieu de la distribution des revenus, voient leur situation s’améliorer par leurs salaires et les innovations qui arrivent, tandis que la solidité de leur situation est menacée si les hausses de salaires et les innovations sont trop faibles… ou trop fortes. Il faut toujours trouver un « juste milieu » économique, toujours menacé. Le Centre politique fait toujours « l’appoint électoral », mais il ne peut le faire que si sa position se consolide, donc s’étend. Ceci implique que la majorité politique devra lui offrir une trajectoire crédible, entre plans, promesses et compromis.

Historiquement, le Centre politique français s’est souvent construit à partir de la droite, avec une emprise d’autant plus forte qu’il fera disparaître l’extrême-droite. On aura politiquement reconnu le Gaullisme et économiquement les « Trente glorieuses » : croissance, emploi, réduction des déficits budgétaires et de la dette publique. Puis l’usure du temps et la mondialisation font leur œuvre, laissant place à un autre Centre venu, cette fois, de gauche. Il commence au pouvoir par des hausses de salaires et des nationalisations, ce qui consolide le Centre qu’elle a gagné, puis l’inquiète assez vite, jusqu’au « tournant de la rigueur » qui fait presque disparaître le Parti communiste. On aura politiquement reconnu le Mitterrandisme et économiquement les premières années de l’euro. Ce sont aussi celles d’une croissance et d’un emploi menacés, avec montée des déficits et de la dette, cachés derrière le Pacte de Stabilité (Centre droit allemand) et de Croissance (Centre gauche français).

Dans ce paysage, le Macronisme est une nouveauté. Le Centre s’est épaissi, à droite puis à gauche, après ces deux tentatives qui ont affaibli leurs extrêmes (qui renaissent maintenant). Les alternances et les cohabitations politiques montrent ainsi les effets complexes d’une rare série de crises : économico-financière avec les bulles immobilières qui explosent aux États-Unis avec les subprimes puis en zone euro, économico-sanitaire avec le Covid, économico-politique avec les tensions Chine-États-Unis, économico-militaire avec l’Ukraine, sans oublier ChatGPT et, en France, la série Gilets jaunes, retraites et banlieues. L’étonnant, dans cette polycrise, est que « le Macronisme » paraisse résister. Il résiste économiquement, ce qui donne une idée des forces qui le soutiennent en France et, au moins autant, ailleurs. Il résiste « relativement » en politique, preuve de l’éparpillement des forces qui le contestent. Ceci explique peut-être la violence des voix que l’on entend, et leur faible écho.

Résilience de ce « Centre macroniste » : un mot savant pour décrire ce que l’on comprend mal. Ceci est d’autant plus vrai que l’on ignore tout de sa succession, tant elle semble ardue hors de sa voie, ceci expliquant cela. L’économie est liée à la politique, aujourd’hui plus que jamais par ces temps de « vides successoraux ». Qui succèdera à Biden, à Poutine si l’Ukraine « dure », à Xi si la Chine entre en déflation ?

Plus intriguant encore : les marchés financiers tiennent. Ils sauraient ? Ou bien se disent-ils que si, sur ce Milieu, pleuvent tant de messages de haine, ils s’annulent ? Le Centre politique serait-il économiquement possible, parce que mithridatisé ?