La pompe américaine à « phynances »

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 La pompe américaine à « phynances »

La dette publique américaine atteint 34 000 milliards de dollars, dépassant son plafond  légal de 31 000 milliards que la Chambre des Représentants ne veut plus augmenter, en plein bras de fer avec Biden. Les Républicains trumpistes veulent plus d’argent pour le mur avec le Mexique contre les migrants : l’Ukraine et Israël attendront. Le risque d’un défaut de paiement sur la dette n’importe même pas : il faut faire pression ! Mais cette dette publique atteint 1,3 fois le PIB du pays, son plus haut historique. C’est le double de sa moyenne de 1940 à 2022. Nous ne sommes plus à 32% du PIB comme en 1981, mais au quadruple ! A continuer ainsi, nous serons à 46 000 milliards de dollars en 2028. Allons-nous y arriver sans crise ?

La mécanique en place est infernale : le déficit budgétaire américain s’alimente à deux sources qui convergent. Vient d’abord le déficit dit primaire : les dépenses moins les recettes hors frais financiers liés au déficit de l’année. Suivent les frais financiers, ceux liés au déficit de l’année plus ceux des années précédentes. Ce déficit a donc beaucoup d’inertie. Les calculs les plus récents (The Long-Run Fiscal Outlook in the United States, Federal Reserve Bank of San Francisco, Letter 2024-04) montrent ainsi que la dette des États-Unis atteindrait le double du PIB américain vers 2055, alimentée par un déficit primaire supposé constant autour de 2% du PIB et par des frais financiers autour de 4% l’an. Avec les années, le seul poids de la dette cumulée représenterait 10% du PIB pour la seule année 2055. Impossible !

On mesure le risque que disent ces chiffres, d’autant que les experts américains ne semblent pas s’en inquiéter. En effet, selon les calculs de la Réserve fédérale américaine (la Fed), en décembre 2022, sur les 31 000 milliards de dollars de titres de dette, le secteur privé américain en détenait la moitié, les investisseurs étrangers le quart et le gouvernement fédéral le cinquième. Il semble donc que des mesures de stabilisation, au moins, devraient s’imposer. Le mandat de la Fed pour gérer l’inflation autour de 2% et maintenir ainsi les taux longs à 4%, même honoré, ne suffira pas. Selon l’étude de la Banque de San Francisco (citée plus haut), il faudrait par exemple caler les coûts des remboursements des dépenses de santé sur la croissance. Ceci ferait naître un excédent primaire en 2043 : la dette commencerait alors à baisser. On retrouve ici une revendication des Républicains. Pour aller plus vite encore, cette même logique de croissance des retraites alignée sur celle du PIB, plus celle appliquée aux dépenses de santé, ferait apparaître un excédent primaire dès 2035. Plus proche, mais encore moins aisé.

Au-delà de ces prévisions, on voit l’idée : réduire les effets du vieillissement de la population sur la montée des dépenses de retraite et de santé pour faire baisser la dette publique !

D’où l’idée d’attendre quand même les innovations technologiques et de l’IA, sans trop pouvoir les calculer, en sachant bien que l’on ne pourra rien sans elles, avec les formations et les réorganisations que ceci impliquera. Mais sans en parler.

Pire, ce chantage irresponsable des élus Républicains au défaut public ferait sauter d’abord le système privé américain. Ménages, bourses, systèmes de pensions, banques, assurances, entreprises y seraient bouleversés, avant même d’affaiblir les autres pays, Japon, Arabie et Chine en tête, dont on parle en permanence au vu de l’épaisseur de leur portefeuille en bons du trésor américain. Bel effet domino.

En fait, la dette américaine est un risque américain… qui sert d’étalon au monde entier. Par son ampleur, elle qui est la première du monde, fournit des dollars à 4,2% pour 10 ans et à 4,4% pour 30, vendables immédiatement en grandes quantités, sans pratiquement en changer le taux. Liquide et sûr, c’est l’actif « sans risque » de tous !

Ainsi, la pompe américaine à « phynances » permet au système mondial de fonctionner, aux devises de nombreux pays d’être émises contre cet « actif » qui est une dette et d’étalonner le risque de toutes les affaires. Cette pompe qui aspire en partie les épargnes de tous, jauge également les risques pour rémunérer crédits et épargnes de tous. Une pompe aspirante et refoulante, utile mais qui s’emballe. Faudra-t-il un freinage des remboursements de soins ou des retraites, la défaite de l’Ukraine, plus d’impôts ou des efforts d’innovation et de formation pour en freiner le débit ? Réponse bientôt.