La France est-elle devenue la cible privilégiée dans la concurrence mondiale que se font les illibéraux, les intégristes et les anti-européens pour savoir qui la fera douter de son avenir et de ses valeurs ? C’est la question que l’on peut se poser quand on lit la presse, regarde la télévision et écoute les radios, avec ses experts en tout. Un peu comme le dit la météo à propos du froid « ressenti » quand le vent s’en mêle, un mouvement anti-France « ressenti » est-il en train de se renforcer ? Plus pénible que le froid lui-même, il s’en prendrait à nous, pour nous fragiliser. Vérité ou fantasme ?
De fait, une crise politique s’étend, pour cacher la pluri-mutation que vit, plus difficilement que jamais, le monde. Le climat change, rendant plus pénibles ou invivables des territoires et poussant à des migrations massives. Les productions et technologies changent, rendent obsolètes des usines, bureaux et systèmes de distribution. Des investissements devenus « anciens » valent moins ou plus rien, comme nombre de savoirs et de formations. Ceci est partout vrai, pas seulement en France. Pourquoi donc, alors, la France serait-elle plus exposée à ce qui se passe tout autant ailleurs ?
On peut répondre qu’elle vit l’écart entre son passé, glorifié, et son présent. C’était Louis XIV, du temps où la France était le pays le plus peuplé d’Europe. Mais depuis, le Siècle des lumières a perdu de son éclat, le français n’est plus la langue des Cours, Sedan est passé par là, Verdun a été suivi de mai-juin 1940 et de Vichy, l’Algérie n’est plus française et s’accrocher aux symboles comme le franc CFA est plus un boulet qu’un appui – on le voit au Niger.
Plus que jamais, il faut distinguer le réel du ressenti, car leur confusion ne nous aide pas, et c’est plus complexe car plus exigeant. La montée des autres puissances économiques, avec leur démographie et leur désir d’avancer, implique la baisse de la place relative de la France dans le classement mondial des PIB. Inutile de parler de déclin ou de décadence : c’est mathématique, normal et sain. Le mesuré n’est pas le ressenti.
La France est le septième pays du monde en dollars courants en 2022 par le PIB, juste derrière le Royaume-Uni. En termes de PIB par tête et en parité de pouvoir d’achat, mesure la plus neutre pour comparer les niveaux de vie, elle est à la 25ème place en 2023, derrière des pays que l’on peut juger petits, moins taxés ou plus ouverts aux capitaux mondiaux, en leur demandant moins d’informations et moins de taxations, sans compter les pays pétroliers. Rien contre nous : trop d’impôts et pas assez de pétrole ici !
Le rating de la dette française reflète, également, plus une situation et des tendances qu’un complot ou un biais dépréciatif. Il n’est plus AAA mais AA, avec perspective négative chez Standard & Poors. Il n’est plus AAA chez Fitch, mais AA- avec perspective stable, le vote de la réforme des retraites ayant (sans doute) été positivement pris en compte.
Il faut se faire une raison : nous payons, comme tous les pays, le poids de notre passé et parfois, en sus, de l’arrogance qui pourrait en venir. L’Europe n’est plus ce qu’elle était avant les deux guerres intestines qu’elle s’est livrée. Elle a perdu ses empires. Mais elle n’en a pas tiré toutes les conséquences. Avec le Commonwealth, l’Empire britannique cherche à se prolonger. Le Brexit est une tentative de le faire indépendamment du choix européen (dont français) de vivre dans la mondialisation qu’est l’Union européenne et la zone euro. A voir ce qu’il en adviendra. La France tente à sa manière de jouer les prolongations économiques, financières et sécuritaires sans le valoriser. Elle déclare la fin de la Françafrique et annonce l’Eco pour remplacer le Franc-CFA qu’elle garantit, un engagement majeur, décisif, qu’on lui reproche presque. Et si ce Franc n’était pas là…
La France, cible ? « C’est possible. On n’abdique pas l’honneur d’être une cible » – c’était de Cyrano.
On peut en trouver les raisons, les fautes du côté français, mais on peut aussi se dire qu’il ne s’agit pas de se laisser cibler, par faiblesse ou bons sentiments, mais de bien regarder qui cible, pour riposter. On trouvera alors ceux qui veulent prendre la place, non plus le Royaume-Uni ou les États-Unis comme auparavant, mais la Russie, la Chine ou la Turquie, avec des préoccupations qui ne sont pas libérales, ni même commerciales. Il n’y a aucun honneur à être une cible, mais honneur à être assez fort pour ne pas l’être.