La ferme des 100 000 vaches, l’usine des 150 000 autos et nous

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 La ferme des 100 000 vaches, l’usine des 150 000 autos et nous

C’est ce qui se prépare, en Chine et aux États-Unis, les deux économies aspirantes du monde. Elles vont « aspirer » tout ce qui est grand – mais pas assez, innovant – mais pas assez, rentable – mais pas assez. Aux autres, à nous, le reste, si on ne réagit pas. Regardons donc où naissent et comment enflent les usines agricoles et industrielles de ce monde, pour le lait et les automobiles, avec les Mercedes ou les Nissan. La course au gigantisme physique, non plus financier, est ouverte. Et nous n’y sommes évidemment pas préparés.

 

Vaches : elles ne sont pas 1 000, comme celles qui font scandale dans la Somme. Disons plutôt 20 000 au Qatar, à la ferme Baladna, à soixante kilomètres au nord de Doha. La raison : l’embargo saoudien. Avant, c’était un élevage de chèvres de taille normale. Du jour au lendemain, le voilà empire laitier : il faut donner au Qatar son indépendance lactée. Disons alors 40 000 vaches : nous sommes aux États-Unis, entre Chicago et Indianapolis. Fair Oaks Farms aligne ses animaux dans d’immenses bâtiments selon un modèle « intensif et respectueux de l’environnement, selon Jed Stockton son directeur de la communication. Nous sommes autonomes pour l’alimentation de nos animaux. L’énergie est fournie par une unité de méthanisation. » L’entité se veut pédagogique : « Les consommateurs américains ne savent plus d’où vient leur nourriture. Ici, nous leur expliquons. »

 

Disons alors 100 000 vaches en Chine ! Le projet de Mudanjiang est ici de répondre à un changement de comportement, mais à l’échelle du pays : boire du lait à son petit déjeuner. On dit (ici) que le projet rencontrerait des problèmes de pollution de la nappe phréatique, mais il marque bien la taille des nouvelles unités de production agricoles, pour produire moins cher, plus près des marchés, et sans risque géopolitique.

 

Voitures : moins cher, plus près des marchés, sans risque géopolitique, c’est la même trilogie que l’on retrouve pour le lait, avec Nissan, Mercedes ou PSA cette fois. La croissance chaotique des relais chinois et indiens inquiète. Le passage à l’électrique semble obligatoire, ce qui implique des milliards d’euros d’investissement, sauf que les clients n’adhèrent pas. Pas encore ? Il faut se rapprocher d’eux. 12 500 suppressions de postes chez Nissan, premières pertes depuis dix ans chez Daimler, leader du premium, davantage de marge annoncée chez PSA, mais avec moins de ventes : baisse de 60% au premier trimestre en Chine.

 

Mercedes réagit, seule grande firme automobile allemande non familiale. D’abord, elle voit monter à son capital, pour 9,7%, Li Shufu. Qui ? Dixième fortune de Chine, c’est le patron du conglomérat chinois Geely, mais aussi de Volvo, du fabricant des taxis britanniques et de Lotus. Suit en 2018 l’achat pour 7% du fonds souverain du Koweit. Vient maintenant, pour 5%, BAIC, groupe étatique chinois. Avec ce groupe, Mercedes construit une vaste usine de Mercedes en Chine, plus va investir 1,5 milliard d’euros dans une usine d’assemblage de Mercedes-Benz électriques. Et ce n’est pas fini ! Daimler et Geely annoncent produire en Chine en 2022 la prochaine génération de Smart, abandonnant le site français de Hambach. Ce sera une Smart, en tant que « marque purement électrique », écologie oblige. En même temps, Donald Trump veut taxer plus les Mercedes importées d’un côté, et fait des appels du pied aux producteurs allemands d’un autre, pour qu’ils s’installent aux US !

 

Les supply chains du monde vont changer. Ces chaînes de production complexes, autour desquelles s’est développée la mondialisation depuis vingt ans, sont en jeu. Finis ces voyages de pièces entre usines spécialisées, chacune apportant sa part en fonction de son, ancienne, spécialisation. Finies ces norias, avec les droits de douane et les queues aux frontières, plus les risques, menaces et enquêtes de Trump, norias polluantes par surcroît. La Chine et son marché en expansion attirent. Trump et ses taxes et saccades repoussent, mais pour qu’on aille chez lui.

 

Les tailles économiques des unités de production, et de distribution avec Alibaba et Amazon, augmenteront. Il y aura des déséconomies d’échelles dans ce mouvement : risques écologiques, cybernétiques, sociaux, mais ils ne pèseront pas lourd par rapport aux garanties que promettent chaque co-leader de ce monde à qui les rejoindra. Vaches et voitures sont la part visible de la bipolarisation en cours. Et on fera quoi, au milieu, nous !