« La situation des finances publiques françaises est une des plus mauvaises de la zone euro et le budget officiel pour les années à venir, transmis à Bruxelles et sensé piloter nos recettes et dépenses futures, n’est pas du tout crédible ». Voilà ce qu’on pourrait lire dans le Rapport public annuel 2023 de la Cour des comptes… si ses Magistrats étaient moins polis. De fait, habitués que nous sommes aux harangues extrêmes au Parlement, nous pourrions sous-estimer l’âpreté de certaines critiques, qui ont été soigneusement polissées. Il nous faut donc relire le texte avec la verdeur, sinon la violence, que nous offrent les plateaux des chaînes de télévision en continu. Ce n’est pas pour autant que ce ton mesuré de la Cour ne soit exempt de travers : arrondir trop les angles ne permet pas de percer les abcès.
D’abord, le Rapport de l’État présenté au Parlement plante le décor, pour la croissance et pour l’inflation. Les pouvoirs publics pensent ainsi à 1% de croissance et à 4,2% d’inflation pour 2023, ce qui est respectivement plus que les 0,6% et 4,8% qu’avait en tête la Commission européenne en février 2023. Plus de croissance avec moins d’inflation, le côté favorable des prévisions commence : celles de l’Insee tablent plutôt vers 0,6% de croissance cette année, avec 6% d’inflation. Mais ensuite, toujours pour 2023, ce devrait être moins d’impôts : poursuite de la suppression progressive de la taxe d’habitation pour près de 3 milliards, baisse de l’impôt sur les sociétés pour autant et suppression de la redevance audiovisuelle pour encore 3 milliards. Ceci sans oublier plus de dépenses : encore pour la santé suite à la pandémie et boucliers contre les hausses des prix du gaz et de l’électricité, liés à la guerre d’Ukraine.
Certes, on pourra remarquer que réduire les rentrées fiscales et augmenter les dépenses n’est pas le plus sûr moyen pour réduire le déficit public. Ceci est d’autant plus vrai si la croissance prévue n’est pas au rendez-vous mais plutôt une inflation qui fera augmenter les dépenses indexées et qu’il faudra compenser ensuite, en augmentant les salaires publics. Au total, sachant qu’il est de plus difficile de se projeter même à un an dans notre monde incertain, le plus sage serait de caler les prévisions sur celles de la Communauté européenne, en les rabotant un peu, tant pour la croissance que pour les prix. Cette prudence pourrait toujours servir, quand on voit notre réalité.
Car le futur ne va pas aider. Officiellement en effet, de 2023 à 2027, la croissance moyenne annuelle s’établirait à 1,6%, ce qui conduirait à un taux de chômage de 5%. Ceci correspond à une croissance potentielle supposée de 1,3% l’an : un chiffre qui, à lui seul, suffit à illustrer l’optimisme des calculs puisque cette croissance potentielle (celle qu’on peut attendre des hommes et des machines sans susciter de tensions inflationnistes) est au plus de 1%. Pas de surprise donc si le déficit public ne cesserait, toujours officiellement, de baisser d’année en année, pour atteindre 2,9% en 2027. Il passerait ainsi au-dessous de la barre européenne d’un déficit inférieur à 3% du PIB.
Tout serait donc au mieux et les politiques ne se sont pas récriés. Les extrêmes n’ont pas de raison de critiquer une Commission européenne qui ne pointe pas encore les écarts entre promesses et réalisations. Viendra le temps des coupes et mises en cause de la « rigueur » après le « quoiqu’il en coûte ». Personne ne critique donc. Qui sait : peut-être que parler d’un ciel qui se dégage vaut-t-il mieux que parler d’orage, ce qui inquiéterait les esprits. Subtile psychologie…
Ce qui est certain, c’est que personne ne pourra jouer la surprise quand vont venir les premières vagues d’économies ou l’indifférence quand, dans six mois, Standard & Poors reverra son appréciation. Déjà, les taux longs montent partout. Les voici à 3% devant les inquiétudes qui naissent de cette inflation dont on comprend mal la résistance aux hausses de taux d’intérêt.
En matière de prévisions des comptes publics, tout le monde joue sa partition : le gouvernement annonce un temps plus clément, sachant que la Cour des comptes donne dans le réalisme. Politiques et syndicats s’y préparent et les marchés financiers attendent, dans les gradins. On pourrait souhaiter un jeu plus direct, franc et vrai, mais ce n’en serait plus un. Jouer aux MéComptes, c’est repousser les coupes, sans se rendre Compte que c’est de notre futur qu’il s’agit. Elles arrivent.
Comprends pas : il frôle plutôt la limite, non ?