Aujourd’hui, seul l’excessif n’est pas négligeable. Nous vivons dans l’anti-Talleyrand, pour qui « tout ce qui est excessif est insignifiant ». Le règne actuel des médias n’est décidément pas celui des diplomates, et il s’étend partout.
Il y avait ainsi, le dimanche 16 octobre à Paris, entre 30 000 manifestants selon la police et 140 000 selon les manifestants, puis, le 18, ils étaient 107 000 selon le Ministère de l’intérieur et « près de 300 000 » selon la CGT. Les médias ont alors rendu compte d’une mobilisation au plus moyenne, Le Point parlant même de « pschitt » pour le 16, sachant que l’écart entre les chiffres officiels et ceux des « manifestants » tourne autour de 3,1416, selon la coutume grecque. Le pire tant attendu n’a pas eu lieu, tant pis ! Du côté de la guerre en Ukraine néanmoins, on attend les missiles iraniens, après leurs drones, avant une bombe nucléaire, qui évidemment sera « tactique ». Pendant ce temps, la salve de hausses de taux de la Fed (la Banque centrale américaine) va pousser la première économie du monde en récession. Mais elle sera « bénigne » selon… la Fed.
La buzz économie dans laquelle nous vivons pousse aux excès d’annonce, autrement rien n’émerge et, pire, rien ne reste. Cette approche conduit partout à des présentations catastrophiques. Le ralentissement de l’activité mène à « 1929 ». La montée des cours boursiers à la bulle de 2017, celle qui a précédé le Covid-19. Sans oublier que « 1929 » a suivi l’éclatement de la bulle boursière de… 1928 ! Hors de la finance, si l’explosion sociale n’arrive pas ici et que la grève générale est repoussée, c’est parce que nous sommes face, selon Jean-Luc Mélenchon, à « une espèce de mai 68 perlé ». Il est ainsi clair que, si nulle catastrophe ne vient, « le feu couve sous la cendre », attendant une étincelle, soit de chez Lénine, soit de chez Mao, qui mènera à une grève générale avec Sandrine Rousseau. Tout est Armageddon ou rien dans les conflits sociaux ou armés, et le calme annonce toujours la tempête.
Avec ces « simplifications », nous passons à côté des forces qui marquent véritablement notre devenir : instabilité du climat, révolution technologique, tendances démographiques, entre expansion en Afrique et vieillissement ici ou en Chine, guerres de religions et renaissance des empires. Faute de prendre les décisions stratégiques, donc difficiles, que ces changements impliqueraient, nous préférons réécrire le passé, surtout avec les théories du complot qui prolifèrent. Nous dramatisons le présent et écartons les améliorations, partielles bien sûr, mais adaptables à ce qu’on peut penser du futur, pour s’y préparer.
Le drame de cette économie du buzz, est qu’elle nous détourne des visions longues et exigeantes. Elle nous accoutume aux problèmes du quotidien, en les amplifiant, sans les relier à ceux qui façonnent le monde. Dire qu’il faut économiser l’énergie devient alors triste, banal, insuffisant, sans idée punchy. Dire qu’il faut se former plus et sans arrêt pour trouver et garder un travail, renvoie aux salaires des patrons (pas des footballeurs), mais sans jamais évoquer les véritables conditions d’emploi et de retraite dans la fonction publique. Ce n’est pas assez fun.
Mais quand Elon Musk, après une discussion avec Poutine, tweete sur des conditions de paix avec l’Ukraine, qu’elle réfute, il sensibilise 109 millions de followers. Et quand, quelque temps plus tard, sans lien bien sûr, il annonce qu’il va arrêter son parapluie Internet à l’Ukraine, décisif pour l’armée du pays, mais qu’il ne peut plus payer, nul ne mentionne qu’il va mettre 44 milliards de dollars pour acheter tweeter. La buzz économie oublie ceux qui la dirigent, ses idoles.
C’est ce jeu en écho des réseaux qui polarise le monde, comme jamais. Ce n’est plus le temps des patrons, des politiques ou des syndicalistes, plus celui des journaux, des radios et des télévisions. Voici maintenant les nouveaux prédicateurs et influenceurs, qui mobilisent les networks, font bouger les sondages, donc tous les décideurs.
Aux États-Unis, le gallon d’essence qui passe à 6 dollars et la récession, seront terribles pour les Démocrates. En plus, avec les Républicains de retour, le soutien à l’Ukraine sera réduit : 60 milliards de dollars déjà ! Si on ajoute Elon Musk au come back de Trump, la buzz économie va frémir, les marchés vrombir. Quels seront les effets à long terme de ces bouleversements sur la géopolitique mondiale, l’Europe et nous ?
Mais… ce n’est pas du buzz !