L’opposition, c’est fun

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 L’opposition, c’est fun

Il serait grand temps de le savoir. Pourquoi donc, en effet, faire de la politique, se démener autant en collant des affiches, en distribuant des tracts ou en faisant du porte à porte, pour se présenter à des élections dont on sortira peut-être gagnant pour, immédiatement après, être critiqué sur tout par tous, voire menacé, avec des tensions croissantes non chez ses opposants, ce qui est normal, mais aussi parmi ses « amis » du parti, ses proches et sa famille ? Pourquoi donc se présenter à ce jeu perdant pour beaucoup, même si ce n’est pas admis ? Désir de sauver l’Europe, la France, sa région, son territoire, sa ville, son village, ou besoin de se grandir, à moins que ce soit celui de s’occuper ?

Perdre au suffrage ? Ce serait, dit-on, en sortir aigri et revanchard. C’est même pour éviter ce traumatisme que les politiques ne font que cela, gagnants ou perdants. Les chiffres sont en effet sans appel : on comptera au moins 30 listes en France pour les élections européennes, soit 2430 candidats pour 81 postes (30×81), donc 2349 en sortiront plus opposants que jamais, en attendant 2027. Alors apparaîtront de 12 à 15 futurs non-Présidents de la République, tous hargneux et pleins de bile, sans compter les élections régionales et municipales, sources d’empoignades de proximité.

Mais cette histoire du trauma de l’échec est-elle vraie ? Perdre est-il si terrible ? Réfléchissons un peu : l’opposition est en effet si agréable ! Il suffit de clamer que rien ne va, que le pays décline, que tous les choix des responsables actuels sont erronés, pour « exister ». Quoique fasse et que dise le gagnant du scrutin, celui qui est « au pouvoir » fait l’exact contraire de ce qu’il faudrait faire et si, par extraordinaire, sa décision va dans le bon sens, les moyens qu’il a retenus sont, au mieux, insuffisants. Inutile  alors de raisonner : la démographie est en berne – mais il faut absolument réduire l’immigration, la population vieillit et les entreprises cherchent de la main d’œuvre – mais il ne faut pas repousser l’âge de la retraite. Pour se sortir d’affaire, on pourrait peut-être réduire l’incitation au « départ avancé des séniors en retraite » ou diminuer les longues périodes de chômage, payées par les salariés en emploi – mais toutes ces mesures (de droite) ne suffiront pas. Et ainsi de suite. Pendant ce temps, le déficit budgétaire se creuse – mais il faut plus d’enseignants et de cellules de soutien psychologique pour les perdants, dit la gauche, et plus de policiers pour le camp adverse. Et si l’argent manque, on pourra toujours critiquer l’Europe, les paradis fiscaux, le mercantilisme chinois ou le protectionnisme américain, les uns demandant alors plus d’impôts et les autres exigeant de traquer et de punir davantage la fraude fiscale et les importations illégales. Dépenser moins et mieux : quelle idée, on voit que vous êtes aux manettes !

Et si calculer, lire des rapports et faire des propositions chiffrées sont décidément fatigants, rien de tel que la rumeur ou la médisance pour avancer sans preuve contre le vainqueur du moment. Vous obtiendrez beaucoup plus de retombées médiatiques que pour n’importe quelle idée ! C’est facile : il vous suffit de dire qu’un proche du responsable élu (sans jamais dire lequel) est moins d’accord qu’avant avec lui, ou qu’il a trouvé que son dernier discours est moins bien passé. Plus efficace encore, vous direz au pigiste du média, en mal de copie, qu’on voit beaucoup l’un avec un autre : est-ce une sensibilité qui naît, le début d’un écart, en attendant une fraction ? Tout journaliste, plutôt pas de votre bord, se fera une joie de reprendre vos « confidences ». Jamais, si vous étiez au pouvoir, vous ne pourriez vous amuser ainsi ! C’est autrement mieux que des tracts à écrire et surtout à distribuer. Bien mieux que ces éternels débats à écouter, à applaudir, et tellement plus facile !

Au fond, contrairement à ce que l’on entend partout, l’opposition, c’est le monde merveilleux des critiques permanentes et des propositions non chiffrées. C’est cet univers où tout est possible, contre ce pouvoir qui ne cesse de critiquer vos remarques et de comptabiliser vos idées : votre boulot pourtant. Vous n’êtes plus perdant, mais victime. L’opposition heureuse, c’est le pouvoir sans opposition, sans électeur ou mieux encore : sans peuple. Le malheur, c’est que pour être dans l’opposition, il faut avoir été un peu au pouvoir ou en avoir beaucoup rêvé. Très frustrante, la politique !