Kiev, un nouveau Munich ?

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 Kiev, un nouveau Munich ?

Kiev souffre. La capitale de l’Ukraine est exposée aux missiles et avions russes, aux drones iraniens, aux munitions nord-coréennes. Elle sait bien que, si elle regorge de courage et d’idées, bientôt les hommes et surtout l’argent manqueront. L’agence Standard and Poor’s vient ainsi de dégrader sa note obligataire. La voilà juste à un cran au-dessus du défaut de paiement. De fait, ce jeudi 1er août, l’Ukraine n’a pas payé le coupon de sa dette obligataire et annoncé ne pouvoir le faire dans le délai de grâce de dix jours. Elle en négocie le rééchelonnement. L’agence américaine de rating ajoute alors, par humour sans doute, qu’elle pourra remonter sa note si « l’environnement de sécurité de l’Ukraine et les perspectives macroéconomiques à moyen terme s’améliorent ». De son côté, l’Allemagne prévoit de baisser ses dons de moitié l’an prochain. Ceci en attendant les résultats de l’élection américaine qui seront de toute manière peu favorables. Difficile en effet d’obtenir 60 nouveaux milliards de dollars, même si ces derniers ont été transformés en prêts, suite à l’exigence du Congrès. Le Président Zelensky sait qu’il devra « négocier » avec Poutine.

Sommes-nous alors revenus aux 29 et 30 septembre 1938 à Munich, où le Chancelier Hitler signait des accords avec Neville Chamberlain pour le Royaume-Uni et Edouard Daladier pour la France, avec Benito Mussolini pour l’Italie comme intermédiaire ? C’est bien plus compliqué. Staline n’était pas invité, non plus que le Président Benes de Tchécoslovaquie, et pour cause pour lui, puisque le dépeçage de son pays était au menu de la réunion : il s’agissait d’apaiser un Hitler en manque « d’espace vital ». Et ceci n’a pas suffi. Après le « lâche soulagement » de la signature, pour citer Léon Blum, Hitler poursuivra en effet ses manœuvres. Ce sera l’attaque de la France le 10 mai 1940, 17 mois plus tard. Rien n’arrêtera sa soif de conquête, avec une économie de taille moyenne et fragilisée par la guerre. Il continuera jusqu’à l’ouverture du deuxième front contre la Russie, qui précipitera la défaite du Reich. Ceci en attendant le 7 décembre 1941, Pearl Harbor, et l’entrée de l’Asie dans le conflit, qui signe sa vraie mondialisation.

Aujourd’hui, on se demande quel objectif poursuit Poutine. Sera-ce l’extension du pays, alors que son économie a un PIB inférieur à l’italien, pour un immense territoire peu peuplé ? Sera-ce un souci de protection vis-à-vis d’un Otan qui s’approche trop, au moment où la Russie tente de retisser les liens de l’ancienne URSS ? Mais c’est oublier, dans cette comparaison, le Moyen-Orient et la Chine, deux autres théâtres d’opérations, interconnectés comme jamais avec les autres. Au point que l’on doit se demander quels sont aussi les buts que poursuivent l’Iran, la Turquie et la Chine : religieux pour les deux premiers, idéologique pour la troisième ?

C’est là que les choses changent d’avec Munich. Il y a d’abord plus de partenaires, toujours plus avides de pouvoirs multiples. Multiples, car l’enjeu majeur n’est pas la démocratie contre les fascismes allemand, italien et japonais, comme il y a 80 ans. Nous sommes passés dans une confrontation mondiale entre États-Unis et Chine qui se joue sur plusieurs registres, liberté contre stabilité pour l’essentiel, chacun ayant ses objectifs. Paradoxalement, derrière cette opposition majeure, les États-Unis rejouent l’isolationnisme, comme en 1940, tandis que la Chine avance son modèle de « prospérité moyenne ». Les États-Unis veulent gagner la guerre (mondiale) sans la faire en montrant leurs forces sur divers terrains, pays, entreprises ou innovations, avec l’idée de regrouper chez eux l’essentiel des forces. La Chine la refuse, en nouant toujours plus d’alliances diversifiées. Les États-Unis veulent alors la sanctionner pour la freiner, ce qui réunit contre eux les oppositions et les aigreurs. Et la Chine prépare sa domination.

Ainsi, quand les États-Unis veulent pousser leurs entreprises à ramener chez eux les productions stratégiques, ils les subventionnent largement. C’est pour lutter contre l’inflation (Inflation Reduction Act), pieux mensonge contre les entreprises chinoises, mais qui n’aide pas les européens. Preuve, ils ripostent dans le même sens, mais avec moins de moyens. Personne n’est content !

Deux cultures se font face. L’Occident a un plan pour gagner qui s’adapte mal à la complexité. La Chine prend son temps et joue la complexité. Kiev n’est pas un nouveau Munich mais un nouveau monde.