Ce 14 septembre, Christine Lagarde, la patronne de la Banque centrale européenne, a bien joué. Elle a augmenté de 25 points de base, à 4,5%, son taux à court terme, tout en publiant sa prévision d’une inflation à 2,9% fin 2025. Il suffira d’attendre un peu pour « déclarer victoire ». En plus, pour les impatients qui restent, elle ajoute, péremptoire : « sur la base de son évaluation actuelle, le Conseil des gouverneurs considère que les taux d’intérêt directeurs de la BCE ont atteint des niveaux qui, maintenus pendant une durée suffisamment longue, contribueront fortement au retour au plus tôt de l’inflation au niveau de l’objectif (de 2%) ».
Impressionnant ! Ne parlons donc plus de « pause » dans les hausses de taux, puis de hausse nouvelle un mois après, puis de « pause », puis… Cette alternance est finie. Les marchés financiers ont d’ailleurs immédiatement traduit : 4,5%, c’est le maximum des taux ! C’est la fin du voyage de leur montée : il se termine ainsi, sur un plateau. De là, la BCE va regarder l’inflation décroître, puis on parlera de la baisse des taux. Christine Lagarde vient de gagner un an. Toujours avec l’idée que la désinflation soutient la croissance, la voilà même qui irait, selon les prévisions de la banque, de 0,7 % en 2023, à 1,0 % en 2024, en attendant 1,5 % en 2025. Mais ce résultat est d’autant plus beau que manquent l’important et l’essentiel.
L’important, c’est que la BCE est en perte. Personne ne l’a signalé, mais le résultat comptable de la BCE en 2022 a été de 0 euro. Ce chiffre magique vient d’une perte de 1,6 milliard, exactement compensée par une « reprise de provision », autrement dit par une épargne devenue sans objet. Et pour 2023, et pour après ? La BCE ne dit en effet rien du rythme de baisse de l’énorme portefeuille de bons du trésor qu’elle a acheté, autour de 450 milliards d’euros sur un total de 700 fin 2022. C’était le temps où il s’agissait de freiner la hausse des taux longs en les achetant chaque mois. Le « whatever it takes » est encore là. Pour dix ans. Quelle perte totale recèle-t-il ? 1,8 milliard d’euros, répond la BCE : nous verrons… si l’inflation ne renaît pas. De fait, Christine Lagarde reprend avec raison le mot de Mario Draghi, disant que la banque centrale était là pour mener la politique monétaire, non pas pour maximiser son profit. Certes, la BCE parle alors d’une cagnotte de plus de trente milliards, mais il faudra être plus précis, avant que les rumeurs ne naissent sur ses pertes, et ne s’étendent.
L’essentiel est ailleurs : 2% d’inflation, c’est le chiffre objectif hérité de la BUBA, du temps où l’Allemagne exerçait son magistère moral en Europe et où la Chine finançait la croissance de tous par des exportations pas chères, achetées par tous avec joie. La « grande modération », cette décennie de croissance non inflationniste, était le cadeau mondial de Deng Tsiao Ping… qu’il s’était fait. Aujourd’hui, on découvre qu’il nous faut savoir faire des médicaments, que le climat est déréglé, que l’électricité suppose de l’uranium et des terres rares, que les armes modernes, classiques et cyber, manquent. Se soigner, se nourrir, se chauffer, se protéger : tout va être plus cher. Plus que 2% ?
Alors, réaugmenter les taux va-t-il faire revenir les masques, une température « normale », le courant pas cher et la paix ? Ou bien faudra-t-il s’endetter bien plus en Europe, ce qui posera des problèmes insolubles à la Grèce, à l’Italie et à la France ? Sauf si on se dit, en Europe et surtout entre Européens, qu’il faut refaire ce qui a été fait après le Covid : le programme « Next Generation EU ». Il s’agissait de 385 milliards d’euros de prêts et de 340 de subventions, autrement dit de dons des pays les plus riches entre 2021 et 2027, prêts et dons liés à un emprunt spécial de l’Union, une « première ». Il s’agit de voir s’il faut lui donner une suite, pour renforcer l’Europe avec plus de ressources, sans dons cette fois, avec des crédits à plus long terme et en ajoutant un volet défense.
« 2% d’inflation à moyen terme » ne dit pas tout. La crise des migrants à Lampedusa et celle de la démographie en Europe ne se régleront pas seulement par de l’argent, mais pas sans. La révolution technologique en cours détruit des emplois et apporte des solutions, mais avec beaucoup d’investissement et formation, donc des taux et une inflation bas. Rien n’est fini le 14 septembre. Une inflation en cache une autre, si on ne réagit pas, ensemble.