Inflation : à qui profite le crime ?

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 Inflation : à qui profite le crime ?

Le crime, l’inflation ? Attention. D’abord, qualifions les faits. S’il s’agit d’inflation, c’est de hausse des prix que l’on parle, plus précisément d’une hausse correctement mesurée, donc indépendamment des pouvoirs, et autoentretenue. L’inflation laisse en effet des traces chiffrées, dans les factures et les tickets de caisse. Ces traces sont scrutées par les vendeurs, qui calculent avant les nouveaux tarifs qu’ils envisagent, puis par les acheteurs, qui doivent les accepter, et ainsi de suite. Le mécanisme s’auto-entretient. Pas de surprise, alors, si « cette » inflation se retrouve partout, et partout différente : 5,1% en France, 6,1% en Allemagne, 6,1% en zone euro, 4% aux États-Unis, 40% (au moins) en Turquie et 0,2% en Chine. Le crime est donc multiple et multiforme. Les criminels sont partout, mais différents. Impossible de parler de « bande organisée » puisqu’il s’agit de bandes… désorganisées dans leurs méthodes, mais qui font pareil.

Peut-on alors parler de « crimes » ? Pas vraiment, car l’inflation n’attaque pas par surprise : on la voit venir, ou plutôt on l’entend, avec son concert de plaintes et de critiques devant les prix qui montent et les revenus qui suivent avec retard. L’inflation naît en effet d’un délai de riposte, lié à un retard de prévention. Le prix du pétrole augmente et se retrouvera à la pompe, sans laisser le temps de monter un « bouclier fiscal et social », autrement dit une subvention qui pèsera ensuite sur le déficit, la dette et les taux longs. Ailleurs, la demande d’un bien ou d’un service se met à monter, sans que l’offre réponde immédiatement, faute de personnel ou d’équipement. Là encore, la hausse des prix comblera le retard, pesant sur la croissance, le déficit et les taux longs, et sur les ménages ! Et si le produit n’est pas réalisé en France, il faudra l’importer, ce qui alourdira le déficit, donc augmentera les taux longs. La crise du Covid, liée à celle des rapports entre Chine et Etats-Unis, est exemplaire de ce mécanisme. On y voit l’épidémie devenir pandémie et les chaînes de production se tendre, avant de casser.

Toujours, l’inflation se voit venir à visage découvert avec des hausses régulièrement plus fortes, ou pire sous son masque contraire de déflation, quand les prix baissent et annonceraient un « nouveau 29 » qu’il faut tuer, sous des masses de crédits. L’inflation annonce l’inflation, la déflation plus encore. Mais sans réagir assez ou comme il faut, on en paye toujours le prix, en moindre croissance et en chômage.

Mais que fait donc la Banque centrale européenne, elle qui est là pour prévoir l’inflation et empêcher qu’elle ne dépasse 2% « à moyen terme » ? La réponse est simple : elle rate sa cible depuis 2021. Ses analyses et ses prévisions pêchent par optimisme, annonçant toujours 2% « à moyen terme » ! Guider les anticipations ne marche plus : dommage pour la gestion de la dépense publique qui devra s’endetter davantage. Mais, par miracle, les marchés financiers n’en veulent pas à la BCE. Les taux longs français sont à 3%, pour une dette publique à 112% du PIB, contre 2,5% pour l’Allemagne et une dette à 66% du PIB.

Le miracle de l’inflation française est ainsi qu’elle ne se propage pas trop aux taux d’intérêt : tout le monde dépose encore son argent à un taux réel négatif (taux nominal moins inflation). Les déposants perdent, les emprunteurs gagnent, au moins indirectement : voilà à qui le crime profite ! Mais il y a des complices : c’est ainsi une bonne chose que la BCE reste crédible, en dépit de ses déboires. Peut-être les marchés prennent-ils en compte une caution implicite de l’Allemagne ? Peut-être ne veulent-ils pas prendre le risque d’un affaiblissement de la seule puissance nucléaire de l’Europe, sachant que, si les prix prennent une allure inquiétante, la BCE pourra toujours monter ses taux et garroter le crédit bancaire ?

En tout cas, la note maintenue pour la croissance française par Standard & Poors le 3 juin à AA, mais avec une « perspective négative », arrive à point nommé pour ne pas renchérir le coût des 270 milliards d’euros d’emprunts nécessaires pour « boucler » 2023, moitié pour rembourser ceux qui arrivent à échéance, et continuer, moitié pour couvrir le déficit de l’année, et continuer. Mais cette « perspective négative », pour être levée, dépendra de nos réformes afin d’encourager la croissance et l’emploi. Toujours pareil !

A cette heure, le crime reste impuni, faute de combattants unis et organisés.