Quels joueurs ces Grecs ! Les "autres européens", en râlant beaucoup, semblent s'approcher de l'accord et le FMI, avec plein de réticences, aussi. Tout est fragile et tendu, et le restera. "Promettre de réformer plus, pour se faire prêter plus et moins cher, pendant bien plus longtemps, avec un 'petit' abandon de créance" : quel sens du tragique pour obtenir un tel dénouement ! Du grand art ! Reprenons depuis la semaine passée...
La voiture de Tsipras continue vers la falaise (voir la lettre précédente), alias le référendum. 61% de Grecs disent non, c’est-à-dire oui à Tsipras, parmi les 63 % qui se sont déplacés. 3,6 millions de non soit 38,7 % des inscrits, ce n’est pas tout à fait un « appui populaire massif » pour un choix de cette importance. Mais passons, personne n’en parle. Tsipras prépare immédiatement la suite pour gagner la prochaine (et dernière ?) manche. Elle promet d’être plus compliquée.
Offrande de départ : Varoufakis quitte officiellement la scène. « Je crains les Grecs, même quand ils font des cadeaux » disait en son temps le grand prêtre des Troyens devant ce grand cheval de bois. Les Grecs, prétendument désespérés, l’avaient laissé en offrande devant les murs de la cité. Troie imprenable… de l’extérieur : le grand prêtre n’avait pas forcément tort. Rien ne change, avec les peuples rusés.
L’objectif de Tsypras demeure : « réformes plus renégociation de la dette » et « pas réformes puis renégociation ». Sa logique demeure également. Il s’agit toujours du « jeu de la poule mouillée » (« t’es pas cap »), sachant que c’est en même temps un jeu du « faible au fort ».
D’abord, la « poule grecque » n’est pas mouillée du tout, mais courageuse et calculatrice. On le voit depuis des mois.
Ensuite, le « faible » ne l’est pas tant que cela, mais fait tout pour le paraître. C’est la pauvre Grèce, humiliée, ruinée et sans avenir qui lutte pour sa dignité. Le « fort », c’est l’Allemagne intransigeante, plus ce Bruxelles sans âme, plus ce FMI et ses calculs simplistes. Le jeu grec, dans cette deuxième manche, est d’affaiblir le fort en cinq mouvements conjoints.
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Montrer que ce fort ne l’est pas tant que cela. Il a peur. La preuve : il n’a pas le courage de décider du Grexit. Il préfère l’asphyxie bancaire et monétaire par l’intermédiaire de la Banque centrale européenne et tester la résistance des Grecs devant la fin de leurs billets. Mais on ne peut fermer les banques indéfiniment : vient l’ultimatum des « autres » européens. En fait, aucun des grands dirigeants, surtout pas Angela, ne veut entrer dans l’histoire comme celui ou celle qui a expulsé la Grèce, au risque de tuer l’Europe.
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Montrer que le « faible » grec n’est pas si isolé que cela. Les Américains sont inquiets devant la fragilisation de la zone et demandent de ne pas pousser les Grecs au dehors. Les Russes proposent leur aide à la Grèce, en attendant les Chinois.
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Diviser : à l’intérieur de chaque pays, les partis politiques se positionnent. A droite, ils sont plutôt pour la sortie de la Grèce, à gauche pour l’aider à rester. En France, cas particulier, François Hollande est l’intermédiaire rêvé entre les Grecs et « les autres ». Soutenu par toute la gauche et (en fait) l’extrême droite, il ne rencontre pas de vraie opposition à droite. Pousser la Grèce dehors, c’est prendre un risque majeur pour la zone – ce que personne ne veut. C’est surtout s’obliger à faire bien plus d’efforts de réformes en France – ce qu’aucun candidat à la présidentielle ne veut, à deux ans de l’échéance.
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Temporiser : le risque majeur, c’est une tension croissante entre France et Allemagne. Les marchés financiers le savent, les Grecs aussi. Ces marchés donnent chaque jour le taux d’intérêt que doit payer en sus la France par rapport à l’Allemagne pour se financer à dix ans. Cet écart était de 20 point de base il y a deux mois, de 40 il y a un mois, il est autour de 50 aujourd’hui. S’il monte encore, voilà la France sous pression pour financer sa dette (croissante). Et les marchés financiers, eux, sont conquis par la solution sympa, il est vrai que c’est la plus simple ! Autrement : krach boursier pour tous, remontée des taux (hors Allemagne) et chute de l’euro.
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Inquiéter : en Grèce, la population peut devenir plus violente quand elle n’aura plus de liquide. Tsipras surtout devra convaincre ses troupes que leur non a, en fait, gagné – en dépit des « concessions » qu’il a dû faire sur les retraites, les salaires et les impôts. Il faudra alors qu’il souffre devant les siens pour bien montrer aux « autres » qu’il n’a pas (trop) cédé.
Moralité : la Grèce ne veut pas sortir de la zone euro. Elle se met dans la position victimaire d’être sortie – si elle perd, et d’être soutenue pour rester – si elle gagne. Qui donc est faible ? Qui donc est fort ? Au fond, c’est moins cher de la garder, se disent nos experts. Ils ajoutent : « à condition de bien la surveiller », pour calmer tout le monde, notamment en Allemagne.
Derrière ce Grexit qui ne devrait pas avoir lieu si tout se passe bien, la France continue à se financer dans d’assez bonnes conditions. Près d’Angela mais trop loin de Tsipras : ceci annonce le 2017 de François Hollande. Les réformes qu’il proposera seront très mesurées. Il a encore appris en tactique auprès de son ami Grec. Pour réussir, en tout cas se différencier, ses concurrents à la présidentielle devront se mettre au Grec ou à l’Allemand, deux langues qu’on ne parle pratiquement plus ici.