Réveillons-nous ! Préparons-nous à sortir, avec cette nouvelle équipe ministérielle censée guider nos pas, hors de ce long sommeil de quarante ans, nommé : déficit budgétaire. Le début, comme toujours, est agréable : une douce somnolence presque salutaire, un repos bien gagné. Puis le sommeil se fait plus profond, entretenu par ceux qui le financent. Ils y ont « intérêt » : financer la France rapporte aujourd’hui 2,8%, contre 2,4% aux Pays-Bas ou 2,1% en Allemagne. Au total, sur les 2560 milliards de dette négociable de l’État, 54% sont venus de l’étranger, plus 27% directement des compatriotes, 9% des compagnies d’assurances et 8% des banques. Mais plus le temps passe, plus les besoins de financement augmentent. Nous en sommes à 220 milliards fin juillet pour boucler l’année et rembourser les crédits qui viennent à échéance. Ce qui permet d’en obtenir davantage ! Donc les tensions montent. Les agences de rating menacent, Bruxelles enquête et la Banque centrale européenne répète sa litanie d’alertes.
Avec tous ces nouveaux, ou pas si nouveaux, ministres, nous pouvons toujours nous amuser à commenter et/ou nous battre. Mais ce jeu permanent qui oppose les tenants de « l’économie de la demande » (à gauche) à « l’économie de l’offre » (à droite) fatigue et ne mène à rien. Les tenants de la demande veulent « satisfaire les besoins », noble tâche, sans plus de précisions. Il s’agit pour eux de stimuler l’activité par des hausses du SMIC et des salaires des fonctionnaires, ainsi que retourner à la retraite à 62 ans. Plus de revenus, ce sera plus de PIB : le déficit se réduira de lui-même ! En face, campent les tenants de l’offre. Ils font remarquer que la concurrence est rude et qu’il faut innover pour « bien » satisfaire la demande, « bien » voulant dire avec assez de marge bénéficiaire pour pouvoir augmenter les salaires, investir et distribuer des dividendes. Autrement, augmenter les salaires c’est affaiblir les entreprises et creuser le déficit extérieur, donc tuer la reprise. Ils ajoutent que la durée de vie en bonne santé augmente, ce qui permet de travailler plus longtemps, jusqu’à 66 ans en Belgique par exemple, d’autant que le vieillissement demande plus de soins. Souvent, la joute tourne à l’avantage des premiers, tant ce qu’ils proposent est agréable. Mais le rêve de la demande a ses limites.
Aujourd’hui, la sortie de l’hypnose de la dette sera d’autant plus rude qu’il n’est plus possible de dévaluer, comme après 1968 ou 1981. L’entrée dans la zone euro nous a fait perdre notre degré de liberté favori, utilisé 14 fois depuis 1944 et devenu impossible depuis 1987. Autres « solutions » qui s’usent : le chômage devient vite insupportable, tandis que l’inflation a de plus en plus de difficultés à se cacher. Elle nous fait produire ou acheter en Chine, réduire les poids des produits dans les sachets ou abaisser les qualités des ingrédients utilisés, sachant que les normes sont toujours plus exigeantes – ce qui accroît les difficultés du maquillage. Reste le degré de liberté ultime : la baisse de rentabilité des entreprises, de l’odieux profit, avec ses effets négatifs sur la valorisation desdites entreprises. Ce que l’on nomme : le déclin, quand on voit sur vingt ans les PIB par tête américain ou allemand comparés au français.
Attendons-nous à un réveil douloureux après ce si long sommeil, si l’on veut en sortir vraiment, sauf si l’on s’adonne à la recherche des coupables, aux solutions par les impôts sur les riches et les entreprises, et si l’on persiste à vouloir réduire le temps de travail. Il faut savoir que ceux qui vont regarder le réveil et scruter nos premiers pas n’auront plus de patience. Le discours de politique générale de Michel Barnier et ses premières décisions vont être scrutés. Quand on sort d’hypnose on peut tituber un peu, à condition ensuite de marcher droit. Les tenants de l’offre devront bien présenter ce que l’on peut attendre de la formation, de l’usage des nouvelles technologies et de la coopération. Ce seront les bases de la révolution servicielle à renforcer. Elle est décisive pour bien se réveiller, mais implique l’adhésion de chacun, à l’opposé de l’investissement industriel, qui force le changement.
Sortir de l’hypnose du déficit et de la dette doit se préparer, si l’on veut éviter le cauchemar. Le gouvernement Barnier est le début du réveil. Fermer les yeux, craindre et critiquer n’ont jamais rien résolu. Dehors il fera beau, mais pas tout de suite.