Généreuse ou catastrophique, cette idée que l’État annule sa dette à la Banque de France ?

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 Généreuse ou catastrophique, cette idée que l’État annule sa dette à la Banque de France ?

 

L’idée enfle. « Annuler les dettes publiques détenues par la BCE pour reprendre en main notre destin »recueille 100 signatures d’économistes d’une dizaine de pays européens, le 5 février. « Annuler » ou bien « rendre perpétuelles » ces 600 milliards d’euros de dettes publiques que détient la Banque de France : quel appel d’air ! En plus, pour les signataires de l’appel, tous les États de la zone euro suivraient : ils annuleraient leurs dettes dans leurs banques centrales nationales et s’engageraient à investir l’équivalent dans « la reconstruction écologique et sociale ». Quel choc keynésien !

 

Mais c’est l’exact contraire de ce que fait la Banque centrale européenne ! Le quantitative easing, ses achats de bons du trésor de chaque membre, en fait le « portage » de leurs dettes sous son nom, sans date de fin et sans montant limité, a permis de crédibiliser leur remboursement en en faisant baisser les taux, pour faire repartir l’ensemble. Faut-il arrêter ?

 

Alors, les critiques fusent. Cette idée d’annuler est dangereuse : elle peut mettre en perte des banques centrales. La BdF n’a gagné que 4 milliards en 2019 ! Annuler la dette, c’est reconnaître que les États sont, d’une certaine façon, en faillite. Alors, pourquoi leur prêter par la suite? En tout cas, ce ne sera pas au même prix : les taux longs vont s’envoler. Pire, ce phénomène est d’autant plus déstabilisant que certains pays sont fragiles, comme l’Italie ou la Grèce, tandis que l’Allemagne sera le seul vainqueur, sur les décombres de la zone euro. Ensuite, cette annulation inquiétera les ménages français, forts détenteurs d’obligations publiques dans leur assurance vie : qui leur garantit que les leurs ne seront pas annulées un jour ? Enfin c’est contre-indiqué, puisqu’aujourd’hui tous les États se financent moins cher que jamais.

 

Les tenants de « l’idée » de l’annulation de la dette ripostent. Ce quantitative easing soutient trop la bourse. Il alimente des bulles en faisant trop baisser les taux, disent-ils. Il finance des fusions-acquisitions folles. Enfin, il fait monter les prix des logements.

 

Les « anti-annulation » rétorquent : « vous préférez l’inverse, une bourse et des prix des logements qui s’écroulent ? ». En fait, la politique de la BCE veut lutter contre la déflation, en soutenant des « effets richesse » : il n’y a que comme cela que l’activité repartira.

 

Mais ce n’est pas fini pour les « pro-annulation ». Ils veulent aussi : « protectionnisme écologique et solidaire, réformes fiscales visant à réduire le niveau des inégalités et à changer les comportements, impulsion donnée aux banques d’investissement et réforme des règles relatives aux aides d’État… passage à la majorité qualifiée en matière fiscale ». Bref : l’ennemi, c’est la finance.

 

Alors Christine Lagarde, Présidente de la BCE, s’énerve dans le Journal du Dimanche le 7 février !« L’annulation de cette dette est inenvisageable. Ce serait une violation du traité européen… Si l’énergie dépensée à réclamer une annulation de la dette par la BCE était consacrée à un débat sur l’utilisation de cette dette, ce serait beaucoup plus utile ! A quoi sera affectée la dépense publique ? Sur quels secteurs d’avenir investir ? Voilà le sujet essentiel aujourd’hui ».

 

Mais l’essentiel est surtout géopolitique. « Annuler les dettes publiques détenues par la BCE pour reprendre en main notre destin » conduit au résultat inverse, par incompréhension de la stratégie de la BCEdans le monde actuel, en pleine révolution industrielle de l’informatique et lutte entre États-Unis et Chine, pour le leadership mondial. Il ne peut y avoir de solution hors d’une « Europe puissance ». La BCE doit soutenir les stabilités économiques et sociales des membres de la zone euro, en renforçant leur stabilité financière. Elle ne peut réussir qu’en réduisant aussi longtemps que possible les taux, pour permettre aux entreprises, aux banques et aux États de résister, avec nécessairement un endettement supérieur. Bien sûr, les épargnants en titres publics ne gagnent plus rien, mais au moins leurs actifs n’ont pas disparu ! En aidant à muscler les capacités productives de la zone euro et celles d’accompagnement des États, donc l’emploi, la BCE renforce l’Union en la fédérant, sans le dire. Ce n’est pas quand une lueur d’espoir apparaît et quand l’Europe parle enfin d’« autonomie stratégique » qu’il faut ruiner 70 ans d’efforts, loin d’être finis.