Gagner en retraite ?

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 Gagner en retraite ?

L’expression n’existe pas et personne n’ose l’utiliser. C’est le contraire qu’on entend partout : « battre en retraite », locution militaire du début du XIXème siècle qui gagnera (elle !) partout. On la retrouve quand les entreprises doivent abandonner un projet ou un pays, et surtout en politique. Là, il faut toujours nouer des alliances et bâtir un programme pour gagner du terrain, faisant en sorte que l’adversaire batte en retraite plus ou moins honteusement, autrement dit pour plus ou moins longtemps.

Le débat sur les retraites en France est omniprésent, dans les médias et les esprits. Pourtant aucun leader politique ne dit encore que ses opposants, quels qu’ils soient, doivent « battre en retraite ». C’est trop confus, trop incertain, trop tôt. Les oppositions à la majorité ne rêvent que de l’entendre dire qu’elle va retirer son texte, autrement dit… sonner la retraite. Elle aura été « battue » en retraites. Et le pouvoir actuel fait le rêve symétrique, qui n’est pas simple : « gagner en retraite » est très rare.

Le champ de bataille mathématique a normalement été assez bien préparé par le gouvernement : sa base en étant la « répartition classique » : ceux en emploi cotisant pour financer les pensions de ceux qui sont en retraite. Si donc il y a plus de pensionnés, avec l’allongement de la durée de la vie et moins d’emplois, avec la diminution des naissances, le déficit peut se combler en combinant 1 : la montée des cotisations des entreprises, 2 : celle des salariés, 3 : l’allongement des cotisations, et 4 : la baisse des pensions. Sauf si le gouvernement ferme la solution 1, ne voulant pas taxer davantage les entreprises, ferme la solution 2, ne voulant pas baisser les salaires, ce qui ferme la solution 4. Reste 3 : 64 ans !

Mais c’est oublier les batailles de l’opposition :

  • refus de la « solution » 1 : les entreprises distribuant des dividendes comme jamais et les milliardaires étant plus riches, elles et ils doivent cotiser,
  • refus de la « solution » 2 : les hauts salaires doivent cotiser,
  • critique de la « solution » 3 : l’allongement de la durée de la vie dépend largement du revenu, les moins riches vivant moins longtemps, du fait des travaux pénibles,
  • autre critique de la « solution » 3 : l’allongement de la vie ne permet pas de faire des carrières complètes, notamment avec les « accidents de la vie » (décès, divorces, maladies). Nombre sont « hachées ».

Comment reculer alors de façon ordonnée ? Réponse : ajouter du Beveridge à la logique de répartition. Beveridge ? Oui, c’est l’économiste libéral anglais sur les traces de Keynes, l’autre économiste libéral (et anglais !). C’est le fondateur de l’Etat providence, avec ses travaux de 1942 et 1944. Il propose, dans cette période terrible, de lutter contre la pauvreté et le chômage par des politiques de répartition, en fait de compensation. Suivons-le, pense le pouvoir actuel : réparons les carrières hachées et instaurons une pension minimale à 1 200 euros.

Évidemment, ajouter de la compensation à la Beveridge à la répartition qui fonde la gestion des fonds de retraite est socialement et politiquement défendable, sinon malin. C’est agir sans taxer les riches, les entreprises et les hauts salaires, mais ceci a un coût… qui sera payé par la retraite à 64 ans, ou plus ! Ou plus, parce qu’il faut équilibrer les comptes, si la croissance, l’emploi et la productivité ne sont pas suffisamment présents. L’affaire n’est donc pas close avec le report à 64 ans !

Comment traiter ce sujet qui n’est pas comptable, mais social et humain ? Va-t-on cesser de travailler pour vivre mieux soi-même, avec ses petits-enfants, au détriment des anciens qui vivront plus longtemps, en attendant que la situation empire pour nous, avec moins de croissance et plus de dette ?

En fait, la mécanique beveridgienne, pour faire voter les effets conjoints de l’allongement de la durée de la vie, dont on ne tire pas les conséquences, et ceux du ralentissement de la productivité, dont on ne parle jamais alors qu’il s’agit de le contrer, détériore la situation, en l’adoucissant… « en même temps ».

On peut dire, avec Karl Marx, que l’empire de la liberté, du temps libre, commence quand finit celui de la nécessité, du travail qu’il faut pour « conserver et reproduire sa vie », reste « que les besoins se multiplient ». Et il ajoute : « en même temps se développe le processus productif pour les satisfaire. » Il faut donc qu’on travaille plus longtemps, pour « gagner en retraite » !