Les analyses des ADN économiques sont formelles : les deux déficits jumeaux dont la France s'inquiète ne le sont pas, autrement dit pas jumeaux, ni "vrais", ni "faux".
Le premier de nos deux déficits, le déficit public, est bien connu et partout commenté. Et cela fait des années que la France voit monter sa dette publique, à la suite de son déficit public. Le déficit public français a ainsi 34 ans : il est né en 1980. C’est un « beau » déficit. Il se plaît tellement ici qu’on ne sait comment le résorber. Il a donné naissance à une dette publique qui atteint presque la richesse produite en une année par l’ensemble des Français. Une chose est donc claire et visible : un de nos deux déficits est un gaillard en forme, père d’une dette plantureuse, tout aussi publique, et dont le seul coût d’entretien (les frais financiers) représente presque 2 % de notre PIB.
Le deuxième déficit a été signalé plus récemment : c’est notre déficit extérieur. Il atteint aujourd’hui plus de 70 milliards d’euros (sur 11 mois en 2013) et c’est le plus « beau » de la zone euro. Rien à voir avec les « petits » 18 milliards de déficit grec ou les 15 de déficit espagnol, deux chiffres qui baissent d’ailleurs à toute allure. Mais rien à voir non plus, par malheur, avec les 185 milliards d’excédent de l’Allemagne. Et pourtant notre déficit extérieur n’a officiellement que cinq ans ! Allez donc comprendre !
Déficits jumeaux : l’expression consacrée est biologiquement fausse. Comment un déficit de tente ans peut-il être jumeau d’un de cinq ! C’est une image, vous répond-on. Ok. Va pour la métaphore.
Le pire est que l’image des « jumeaux » est économiquement plus dangereuse encore que fausse. Elle déforme une réalité qui est bien plus inquiétante que cette vision familiale, car elle en cache la causalité et la dynamique.
La vérité, c’est que le déficit extérieur est le père du déficit budgétaire. Pourquoi ? Parce que le déficit extérieur traduit une érosion lente et régulière de la compétitivité de l’économie française, sans remplacement par d’autres idées ou par d’autres activités. Des emplois disparaissent, des entreprises suivent, des régions se dépeuplent, les prix des entreprises plus classiques ou qui ne s’adaptent pas chutent. Voilà moins d’activité, moins de revenus distribués donc moins de TVA d’un côté, moins d’emplois et moins de charges sociales payées par les entreprises, donc moins de revenus fiscaux et sociaux d’un autre. Notre déficit extérieur, directement et indirectement, c’est moins d’entrées fiscales. Mais, en même temps, c’est plus de dépenses sociales : plus de dépenses chômage, plus de soins de santé, plus de soutiens aux personnes et aux familles en difficulté.
Le problème est que cette détérioration est lente : c’est pourquoi le déficit extérieur triche toujours sur son âge. Et ceci d’autant plus que cette détérioration est freinée par des cessions d’entreprises ou d’activité, par des subventions, des aides et bien sûr par une montée de l’endettement public. C’est ici qu’on retrouve l’autre « jumeau », plus la montée de l’endettement privé – qui n’est jamais signalé.
La métaphore des déficits jumeaux cache ainsi la lente érosion de notre compétitivité privée et l’origine et la gravité de ce qui nous arrive. Le déficit du commerce extérieur est vieux, c’est pourquoi il est le père économique de l’autre. Plus encore, c’est un père dangereux, avec ses effets ravageurs.
En effet les choses continuent à se détériorer, sous l’influence de l’Etat cette fois. Au lieu de soutenir cette perte de compétitivité privée par des baisses de charges et par des aides à l’innovation, nos responsables politiques redoublent de « soutiens » et d’impôts. Or les « soutiens » augmentent les dépenses publiques et les impôts, qui tentent de compenser ces dépenses, ne font que désespérer les entreprises et les entrepreneurs. Ceci accélère le cercle vicieux entre déficit extérieur et déficit public, les tensions père-fils ! Les entreprises résistent, les actionnaires perdent. Pour freiner un temps la reculade, on a dévalué le Franc. On gagne du temps, on triche encore sur l’âge.
L’euro a donné un coût d’arrêt à cette « politique » en empêchant la « dévaluation solution ». Mais il a prolongé la période de grâce avant que la détérioration ne soit manifeste grâce à des taux d’intérêt bas et des déficits extérieurs devenus sinon invisibles, du moins sans sanction (jusqu’à présent) par les marchés financiers. C’est fini.
Les déficits français n’ont jamais été jumeaux. Le déficit extérieur, avec la lente érosion de notre compétitivité, est le père du déficit public. Tout a été fait pour cacher cette paternité. Elle éclate aujourd’hui. Il faut tirer les conséquences de ce bon diagnostic pour mener la bonne cure. Il est ainsi impossible de continuer sans moderniser le secteur public, pour qu’il dépense moins et sans dynamiser le secteur privé, pour qu’il gagne plus. Car la sortie de crise, elle, est vraiment jumelle !