France : sortir de crise par « la nouvelle société » de… 1968?

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La « nouvelle société » ? C’était Chaban-Delmas en 1968, une modernisation économique et sociale jugée nécessaire – après le coup de semonce des événements de mai – mais une modernisation repoussée par la droite, puis la gauche… pendant 25 ans ! Et si elle nous revenait aujourd’hui, comme l’absolue nécessité du moment ?

L’économie française plonge, la récession est là. Et si la « nouvelle société » allait nous sauver ? Quand donc viendra le rebond ? De plus en plus écartelée, notre économie vit les deux erreurs fondamentales de la stratégie suivie par le gouvernement. La première est d’avoir mis la profitabilité des entreprises après la stratégie de rééquilibrage des comptes publics, la seconde est d’avoir décidé de rééquilibrer les comptes publics d’abord par la hausse des impôts, puis par la réduction de la dépense publique. Réduction du déficit budgétaire puis profitabilité des entreprises, réduction du déficit public par les impôts puis par la dépense : non pas deux erreurs d’échéancier, mais deux erreurs de philosophie. Car la profitabilité des entreprises est très faible depuis des mois. Elle réduit donc leur capacité de projection, au moment même où une fiscalité accrue les fait réagir plus violemment que jamais. La boucle tourne dans le mauvais sens : moins de croissance, moins de revenus, plus d’inquiétude.

Les derniers chiffres de chômage ne sont donc pas une surprise : c’est la base l‘économie française qui fléchit. Les grandes entreprises revoient leurs structures de coût, manière polie de dire qu’elles réduisent désormais leurs superstructures de tête en taillant dans le haut encadrement. On verra les « départs négociés » se multiplier. Pour les PME, voilà des mois qu’elles freinent leurs stocks, leurs investissements, leurs embauches. Voilà des mois qu’on voit se tarir le financement des investisseurs pour les start up et s’infléchir le crédit aux PME. La récession est là – avec le risque est qu’elle ne s’arrêtera pas de sitôt.

Pour remonter la pente, il faudra un choc violent, un choc qui frappera les esprits. Or ce choc n’est pas là, plus exactement : il n’est pas encore là. L’économie française vit même l’étrange situation où montent, d’un côté, le taux de chômage et, d’un autre côté, le salaire réel. Le salaire réel de ceux qui ont un emploi bien sûr. Terrible illustration de la coupure du marché du travail entre ins et outs. Les ins ont un CDI, ils sont inscrits dans les conventions collectives et vont avancer, plus lentement bien sûr, mais avancer. Ils sont protégés. Les outs n’ont rien. Ils vont de stages en CDD pour les plus chanceux, et se déqualifient lentement. A l’extérieur, cette même économie française vit une autre étrange situation : elle se finance dans des conditions très favorables, « grâce » au ralentissement économique et à la baisse des prix, grâce à l’inquiétude qui s’étend, grâce aux investisseurs japonais qui viennent acheter ici des bons du trésor, plus rémunérateurs que les leurs.

Remettre la profitabilité des entreprises au cœur du dispositif, se lancer dans un programme de réduction de la dépense publique : voilà la piste à suivre. On pourra toujours l’appeler « tournant de la rigueur » si on veut, mais ce n’est pas le même, car la dévaluation n’est plus là. C’est elle qui avait sauvé la situation en 82 (trois dévaluations), plus une inflation qui avait dépassé 10 %. Cette fois, les deux voies sont bouchées. Une certaine hausse des prix est toujours possible, mais 3 % paraît un maximum. Et il faudra tenir les salaires et les retraites, dans l’économie indexée qui est la nôtre. Cette modération salariale qui est à mettre en place dans les années qui viennent, pour faire remonter les profits, va devoir escorter une nouvelle politique d’information, de formation et de participation des salariés aux décisions. C’est la « nouvelle société ». Et la structure publique devra, elle-aussi changer, pour être plus efficace et moins coûteuse, en utilisant pleinement les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Au fond, la voie actuelle n’est pas la bonne et les « voies de 82 » sont fermées. La rigueur d’aujourd’hui, c’est la transparence et la participation dans le privé, le digital dans le public, mais plus profondément l’acceptation de changements profonds, car expliqués, compris, vérifiés. Acceptés aujourd’hui, ils nous feront avancer ; refusés, ils nous seront imposés. Ils seront alors plus violents, mal adaptés, moins efficaces. La « nouvelle société » se mérite.