France : deux duels contre le réel

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 France : deux duels contre le réel

Le réel, si pénible, lent et compliqué : c’est l’ennemi politique en France. Deux duels, au moins, sont donc prévus pour l’abattre. Auparavant, aux élections présidentielles, les Français s’étaient arrangés pour se débarrasser de leurs dirigeants qui avaient, cinq ans durant, été « usés » par le pouvoir, autrement dit l’avaient exercé. Sarkozy puis Hollande : dégagez ! Macron, miraculeux « dégagiste » de ce dernier (et du Républicain Fillon), améliore son score de 2017, mais dans un contexte où le dégagisme peut demeurer, contre lui cette fois ! A preuve, les candidats qui le suivent (derrière son 27,8% des voix) n’ont jamais trempé dans la mise œuvre de quelque réforme que ce soit : Le Pen (23,1%), Mélenchon (22%) et Zemmour (7,1%). Et les autres payent, directement ou non, les rapports qu’ils ont eus avec la vie concrète : Pécresse pour cause de Sarkozy, Hidalgo pour cause de Hollande et même Roussel pour (ancienne) cause de Marchais. Dégagez, les réels !

Duel du 20 avril : voici le changement par les mots, avec Marine contre Emmanuel. Enfin, on aura notre joute verbale ! Voici, cinq ans qu’on l’attend depuis le 7 mai 2017, date de la victoire surprise de ce jeune Macron. Depuis, les tensions abondent dans ce bas monde : Trump, Gilets jaunes, Covid-19, Chine et guerre d’Ukraine. Qui va donc résoudre tous ces problèmes qui montent et se combinent ? Emmanuel encore, ou Marine, après trois tentatives sur les traces de son père ? Preuve s’il en fallait que le vote à deux tours ne nous va plus, celui où il fallait « choisir » au premier, pour « exclure » au second, nous parlons depuis des mois de « vote utile ». Comme si le premier tour ne l’était pas. L’important, c’est d’éliminer pour changer : avec douze candidats cette fois, nous sommes au supermarché !

Alors, quelles armes pour ce duel du 20 avril ? Au Colisée romain, les citoyens avaient droit chaque jour à des jeux gratuits, entre animaux, entre humains et animaux, ou entre humains, la fin étant souvent la même : la mort, dans le sang. A la télévision française, rien de tout cela : des combats de chiffres et surtout de mots, avec quelques punchlines, plus ou moins mortelles. Mais apparemment, aucune n’a encore réussi cette fois.

Lors du duel télévisé en effet, à la différence du Colisée, la mort de l’animal politique est seulement médiatique, et pas même définitive. Marine Le Pen en est la preuve « vivante » : sérieusement blessée il y a cinq ans, la revoici, avec de nouvelles armes. Elle est devenue sociale, avec un SMIC haussé et la retraite diminuée à 60 ans après 40 ans de travail, plus verte que jamais et encore plus nucléaire, autant anti-immigration, non-plus anti-euro mais voulant affirmer quand même la supériorité des lois françaises sur les européennes : un ensemble de propositions difficile à évaluer ! En face, Emmanuel Macron, est le candidat d’un réel qu’il a bien connu et qu’il se propose donc d’améliorer péniblement (expérience oblige). Marine veut construire plus de réacteurs que lui, et lui répond que ceci prendra plus d’un quinquennat. Elle veut donc aller d’autant plus vite qu’elle entend détruire les éoliennes. Et quand Emmanuel parle d’en construire en mer, elle met en avant les opposants pêcheurs, passant sous silence les « écolos » qui pourraient bien se réunir autour des centrales qu’elle envisage. Pour lutter contre le capitalisme mondial, ce sera donc le seul capitalisme régulé français ? Le virtuel à la place d’un prosaïque réel ? Mais si Macron gagne ?

Alors il faut prévoir un deuxième duel : les législatives, avec cette fois semble-t-il Mélenchon qui entend être « élu Premier ministre », autrement dit leader de l’opposition à la Chambre, opposition qui y serait donc majoritaire. Ce scénario agite les gazettes, déçues d’un premier duel trop sage. Dans les arènes taurines, « l’alternative » marque le changement de torero pour « s’occuper » de l’animal : c’est pareil ! Bien sûr, nous sommes loin des règles politiques et constitutionnelles classiques : c’est « la politique » qui entend vaincre, du côté de l’extrême gauche cette fois, après une attaque du côté de l’extrême droite. Mécaniquement ceci affaiblira « le centre », coincé à l’Elysée.

Et la croissance, et l’emploi ? On peut s’étonner de ces luttes françaises, dans lesquelles les questions économiques et plus encore géopolitiques s’estompent, au-delà de l’hexagone. Réponse : tout le mal nous vient d’ailleurs. En deux duels cette fois, on aura sa peau.