Faisons nos Davossions !

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 Faisons nos Davossions !

Brrr, quel froid ! Allons-y, pourtant. Chaque janvier, des milliardaires, des patrons de très grandes entreprises, plus quelques experts et leaders politiques font leur traditionnel pèlerinage suisse. Pour les responsables d’entreprises, il peut s’agir de contritions pour leurs succès (pas de gloriole entre eux !), assorties d’engagements, sur fond d’inquiétudes. L’avenir est toujours plus complexe, fragmenté, périlleux. Viennent les politiques, qui promettent, pour leur part, de mieux répartir les richesses, ceci supposant que les entreprises en produiront plus, en formant et en innovant davantage si, en échange, ils leur simplifient la tâche. Ces entreprises seront alors, plus que jamais, sensibles à l’épanouissement de leurs salariés, à la satisfaction de leurs clients, ceci dans un environnement qu’elles auront à cœur de respecter, sinon de restaurer.

Dans cette communion de bonnes volontés, les experts font entendre leurs voix. L’optimisme faisant naïf dans une telle assemblée, et le conseil en organisation trop mercantile, ils émettent plutôt des critiques sur la dangereuse polarisation des richesses pour la stabilité de nos sociétés. Certains ajoutent des propositions de taxation. De ce requiem, émerge toujours la voix de Roubini, qui annonce une chute boursière de 25% pour 2023, assortie d’autres plaies d’Égypte. Rien de tel, en effet, que d’avoir peur pour agir, peur de la guerre d’Ukraine à 2000 kilomètres, peur des dettes qui montent partout, peur de la faillite des États-Unis eux-mêmes en août, si aucun accord n’est trouvé avec les Républicains pour monter le plafond de la dette… Rien ne sert de se congratuler de ses réussites passées, sans évoquer les talents à réunir, si indispensables pour affronter un avenir à ce point menaçant.

De fait, nos pèlerins n’ont pas tort : le monde est plus compliqué qu’avant, avec des chocs militaires, sanitaires, sociaux plus importants et fréquents, sans être sûrs désormais d’une piste de sortie. Autrefois, vouloir la croissance était la solution pour tous, dans des systèmes budgétaires qui devaient être équilibrés, avec un contrôle croissant des dépenses publiques et moins d’impôts, de façon à faire jouer la concurrence au sein du pays et entre pays, plus des privatisations et des dérèglementations, avec en supplément la liberté des changes et celle des échanges.

Ce cocktail fameux, le Consensus de Washington de 1989, est derrière la vieille « Grande croissance », avec la montée de la Chine mais aussi l’explosion, largement financière, des inégalités. On en mesure aujourd’hui les limites, avec les dérèglements climatiques, les fragilités des chaînes internationales de valeurs, et la montée des risques. Il s’agit surtout de la tension entre Chine et Etats-Unis, les deux grandes puissances mondiales, la nouvelle et l’ancienne, dans un contexte de retour des empires, Russie-URSS, Turquie-Empire Ottoman, Iran-Perse. Alors, la paix pour plus et mieux commercer, le rêve de Davos, s’éloigne.

Mais de quoi donc parler, à Davos ou ailleurs, entre milliardaires ou entre PME, entre leaders et responsables politiques et sociaux, si on ne sait pas où l’on va, où nous mène l’histoire ? Où va la montée des tensions, des populismes, des fascismes ? Et donc que donnera notre permanente impréparation ? C’est toujours la même scène qui se joue : félicitons-nous de nos succès, pour gagner dans le futur ! Mais lequel ?

Et, comme si tout ceci ne suffisait pas, quel écart avec « la pensée écologique » qui nous annonce plus de chaleur et moins d’eau « en moyenne », en prônant « la sobriété » et ce qui se prépare : le jeûne… Car il ne s’agira pas d’un degré et demi en moyenne en plus, mais de fournaises localisées, des pénuries d’eau, des migrations climatiques, des villes asphyxiées : ce sont de nouveaux conflits, dont les écologistes ne parlent pas. Il ne s’agit pas d’arrêter la viande ou d’éteindre la lumière, mais d’accepter les modifications génétiques, les avancées du nucléaire, les possibilités offertes par le télétravail… « On n’arrête pas le progrès » : pas sûr, pas facile ! Et si l’innovation ne réglait pas tout ? Car, dans cette globalisation, erreurs et succès sont à l’échelle. Alors, les « super-richesses » des gagnants mondiaux pourraient-elles leur permettre de continuer, pour prendre de « super-risques » et d’avancer ? Dans la dérèglementation ?

Dans de nouvelles règlementations ?

Ce sera très compliqué. Discutons-en donc, mais entre nous et à Davos ! Brrr.