Samedi 18 mai, 200 millions de téléspectateurs suivent la finale de l’Eurovision de la chanson. Une semaine plus tard, 420 millions d’Européens sont appelés à voter. Aucun rapport ? Malheureusement oui.
D’abord, on retrouve le risque de tout mélanger. Avec l’Eurovision, il s’agissait de classer des chansons, pas des nations. Dans les élections à venir, il ne s’agit pas vraiment de Macron, mais de former le Parlement européen.
On vote à l’Eurovision pour Duncan Laurence ou Bilal Hassani, par pour les Pays-Bas contre la France, et il ne s’agit (normalement) ni d’Israël ni de Palestine. Pour les européennes, il s’agit de voter pour des candidats et des programmes européens, pas contre ou pour Macron, même s’il s’y prête beaucoup ! Et c’est une lecture nationale qu’a beaucoup faite… l’Eurovision ! On mesure les pays les plus ou les moins « pro France », selon leurs votes passés. On sur-Macronise la semaine qui suit ! Peut-on regarder les choix offerts ? Ils ne sont pas « très national » si on chante, ni « surtout national » si on parle d’Europe.
Ensuite, vient le risque d’erreur de casting. Il ne s’agit pas de voter directement pour le Président de la Commission qui succédera à Jean-Claude Juncker, mais pour un parti, dans un Parlement.
De ce Parlement, le chef du parti ayant eu le plus de sièges se présentera devant les chefs d’État et de gouvernement qui le « retiendront » (parions que oui !) comme Président de la Commission, puis se soumettra au choix du Parlement (parions qu’il l’acceptera !). On voit d’ici les tensions entre deux logiques de pouvoir : le Parlement voudrait choisir directement le Président de la Commission, les chefs d’État et de gouvernement veulent peser. Europe des peuples et Europe des nations : il faut les deux, ce ne sont pas les mêmes, et c’est de plus en plus compliqué !
Mélanger les logiques de vote pour le Parlement et la Commission, c’est un peu ce qui s’est passé à l’Eurovision de la chanson !
Le candidat des Pays-Bas, gagnant 2019, n’est arrivé en tête ni des votes des jurys, ni des téléspectateurs. Chez les premiers, il est troisième avec 231 points et deuxième chez les seconds, avec 261. C’est par « consensus » qu’on est parvenu à réunir les deux votes, au grand dam de la Suède et de la Macédoine du Nord, un temps en tête. Les experts en musique et les auditeurs « doivent » se mettre d’accord, les élus des nations au Parlement et les chefs de chacune aussi. Mais ce sera plus difficile.
Les interventions extérieures ne sont pas toujours bienvenues. Madonna a chanté pour cher, et faux, et Steve Bannon, l’ancien conseiller de Donald Trump, intervient en Europe, notamment en France.
Dans son interview au Parisien le 17 mai, il précise : « Le Pen a raison : la politique n’est plus structurée entre droite et gauche mais entre ceux qui pensent que l’État-nation doit être dépassé et ceux qui pensent que c’est un bijou. » Au fond, il s’agit pour lui de faire éclater la dialectique complexe : Europe fédérale et Europe des nations, au bénéfice de la seconde. On peut comprendre son opposition au multilatéralisme du projet européen, et préférer un bilatéralisme généralisé « entre égaux » : États-Unis et Chine, États-Unis et Allemagne, États-Unis et Royaume-Uni, États-Unis et France… Mais on voit ce que cette égalité veut dire.
Surtout, au-delà de la politique, l’attaque contre le multilatéralisme est très dangereuse pour l’Europe économique.
Ses capacités humaines et technologiques, son immense épargne et sa culture, ses réseaux et amitiés doivent lui servir, en se combinant, pour la développer, non pas à alimenter surtout ses concurrents américains et chinois. En pleine révolution technologique, il faut ici des investissements massifs en recherche pour les projets de demain : cybersécurité, armement, santé, logistique, nourriture, écologie… Ils sont décisifs pour l’emploi, avec les multinationales et licornes qui vont avec, mais avec aussi les startups à faire naître et les PME à revitaliser, les alliances à nouer, certes avec les deux grands, et plus encore avec l’Afrique. Et la Commission, enfin, parle de politique industrielle !
Les nations européennes fondent l’Europe puissance qu’il nous faut : aucune économie n’est « hors-sol ».
Mais défendre sa nation contre une autre dans la bataille mondiale en cours, c’est perdre, elle et les autres. Il s’agit de se rapprocher, pas de fusionner, pour plus de compétences et d’efficacité ensemble. Alors, « tout finit par des chansons ! »