Enquête sur les départs des dépôts à vue

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 Enquête sur les départs des dépôts à vue

Une étrange maladie frappe les dépôts à vue. Cette précieuse réserve de liquidité, garantie du lendemain, baisse partout, tout comme le niveau des lacs, mais plus lentement ici qu’aux États-Unis.

En France, les dépôts bancaires poursuivent, depuis des mois, leur reflux : -8% en mars sur un an, tandis que les dépôts à terme et les comptes sur livrets augmentent de 21%. L’argent non rémunéré cherche à profiter de la hausse des taux. Il quitte les encaisses gratuites qui avaient explosées par temps de COVID. La liquidité a donc moins peur de l’être moins et plus peur de perdre en pouvoir d’achat : l’inflation s’installe.

Aux États-Unis, ce qui se passe est bien plus violent. Des banques que l’on disait régionales, Silicon Valley Bank, Signature ou First Republic, meurent ou sont rachetées en quelques jours, après une fuite éperdue de leurs dépôts. Elle est si rapide qu’elle en vient à inquiéter les autorités financières et politiques. Elles doivent très vite arrêter l’hémorragie : leur taille régionale ne suffit pas. Ou ne suffit plus ?

C’est ce qui est arrivé à la Silicon Valley Bank, 16ème banque américaine par le total de son bilan à fin 2022. Elle meurt le 10 mars 2023. La Fed, banque centrale américaine, vient d’en publier l’autopsie. Elle y critique une trop forte croissance des crédits à la tech, au moment même où ce secteur inquiétait les investisseurs. La presse se fera aussi l’écho d’un bonus versé quelques mois plus tôt à son dirigeant, qui vend ses actions au moment où elles étaient au plus haut. On saura également qu’il avait milité auprès du Président Trump pour un allègement des trop chers contrôles sur les banques de moins de 250 milliards de dollars de total de bilan, s’en tenant ensuite, lui, à 220. On découvrira que le responsable des risques de la banque a démissionné depuis des mois, sans être remplacé. Mais la vraie nouveauté de cette crise est la vitesse des rumeurs, assistée par ordinateur : les réseaux sociaux vident les dépôts et la valeur du titre s’effondre, en un jour.

Quelle différence avec la plus grosse faillite bancaire antérieure ! C’était le 26 novembre 2008 : Washington Mutual, première caisse d’épargne du pays meurt, après 40 jours de fuite des dépôts à un milliard de dollars par jour. Rien à voir donc avec le 9 mars 2023, où ce sont 40 milliards de dépôts qui quittent la SVB en une seule journée, sachant que 100 annoncent qu’ils le feront le 10. Mais la banque sera déjà fermée.

Autre nouveauté américaine : le décès de Signature Bank le 12 mars, pour avoir touché aux cryptomonnaies, notamment aux stable coins. Elles promettaient de rapporter au moins autant que le dollar, tandis que la Fed augmentait régulièrement ses taux : impossible !

Puis, un autre « bank run électronique » s’installe à Republic Bank, 210 milliards de dollars de bilan fin 2022, moins de 250, elle aussi. On découvrira, lors de l’audition au Congrès de son président qu’il avait, lui aussi, eu l’idée de vendre avant certains de ses titres, recevant alors plus de 900 000 dollars, ce qui est mieux que les 3 000 qu’il aurait touchés après la déconfiture de sa banque ! Le bankrun informatique n’exclut pas les perversités antérieures : il les accélère.

Ces fuites, avec rumeurs assorties, peuvent-elles nous arriver ? Non, la lente vitesse de la décrue des dépôts à vue ici le prouve. Il n’y a pas en France de banques régionales indépendantes, mais cinq banques systémiques, surveillées, qui occupent l’essentiel du marché. Il y a surtout beaucoup d’abris fiscaux pour l’épargne, comme le Livret A. L’épargne française étant fiscalement segmentée, son écoulement est freiné.

Et la bourse, ne s’inquiète pas sur la liquidité ? Au contraire : le CAC 40 a gagné 12% sur un an, ce qui est sans rapport avec un PIB français qui augmente de 0,1%. LVMH pèse désormais 18% de l’indice (après une hausse de plus de 30% du titre sur un an et de 110% sur trois), L’Oréal 9% et Hermès 8%, ce qui est mieux que Total à 6%. L’épargne française préfère le luxe.

Cependant, les banques françaises qui ont vu la bourrasque américaine songent à s’en protéger. Elles vont devoir stabiliser leur liquidité, en la payant mieux : elle adore déjà ce traitement ! Alors le crédit sera plus cher, ce que veut la BCE. Alors il rapportera plus, même après assurance, sera plus facile à vendre aux nouveaux collecteurs d’épargne qui ne vont que grossir. KKR, Blackstone, Amundi et BNP AM sont là : rien ne se perd, tout se transforme.