C’est le moins que l’on peut en dire aujourd’hui : émeute vient d’ « émouvoir ». Nous sommes revenus au Haut Moyen Age ! Voici que ce « tumulte séditieux » renoue avec ses origines, au vu des drames et des secousses violentes que nous venons de vivre. Des « surprises », ces émeutes violentes ?
Seulement par leurs vitesses et leurs lieux de propagation. Pour le savoir, lisons l’étude d’Ipsos et de Sopra Steria : entre le 16 et le 21 juin 2023, 1500 personnes sont sondées par ces organismes, représentant une « population française âgée de 18 ans et plus ». Dans l’enquête, elles disent, à 65%, que le lien social est « bon » là où elles vivent, mais « pas bon » en France… à hauteur de 66%, donc « bon » pour 34% ! Pire, ce lien se détériore actuellement pour 79% des enquêtés en France, et, désormais aussi, pour 57%, sur leur lieu de vie.
Les réponses des 18 à 24 ans sont plus étranges encore. 68% disaient, en ces temps « reculés » de juin 2013, que le lien social était « bon » là où ils vivaient, un peu supérieur aux 65% pour les sondés en général, et pour 50% d’entre eux « bon » en France, très supérieur donc à la moyenne à 34%. Pour ces jeunes, le lien social était « bon » là où ils vivaient, un peu moins en France en général, mais sans être négatif : beaucoup moins noirs donc que leurs aînés.
On retrouve ce sentiment de faiblesse perçue du lien social dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, mais le lien local « tient », avec 58% de réponses où il est jugé « bon ». La photo de l’époque doit faire ajouter que, par « proximité partisane », les proches de la France insoumise jugent aussi faible le lien social global que le panel dans son ensemble, mais plus fort le lien local, tandis que ceux du Front national sont globalement insatisfaits, en France et chez eux.
Mais aujourd’hui, Nanterre = Montargis ! Tout se passe comme si la mauvaise qualité ressentie du lien social global, qui apparaissait dans le sondage, avait contaminé le sentiment local. En deux mois ! Nous allons crouler sous les études et les points de vue, à la suite de ces émeutes. Si les raisons traditionnelles demeurent pour les expliquer – niveaux de vie, précarité, futurs obstrués, chômage… – elles n’épuisent pas pour autant les raisons avancées à côté, sans chiffre, autour de l’immigration, de l’Islam ou de la drogue, listes non limitatives. L’accent sera aussi, de plus en plus, mis sur la responsabilité des nouveaux médias et des réseaux sociaux pour propager plus vite les émotions et donner des lieux de rendez-vous, toujours sans chiffre.
Ce que les enquêtes et les études vont approfondir, c’est ce qui se passe par sexe et chez les jeunes de moins de 18 ans. Par sexe, il n’y a semble-t-il pas de différence entre garçons et filles sur les perceptions de la qualité du lien social : il est « bon » pour les 2/3 là où elles et ils vivent, et « mauvais » pour les 2/3 au niveau du pays, pour les deux sexes, à égalité. Chose importante, ce niveau s’est plus détérioré pour les femmes que pour les hommes, surtout entre 45 et 54 ans. Par âge, c’est peut-être ce que l’enquête n’a pu voir qui pourrait importer, puisqu’il est possible d’interroger un jeune de 18 à 25 ans, mais avec l’autorisation d’un majeur ayant autorité sur lui, au-dessous de 15 ans. Les jeunes entre 11 et 13 ans ne sont donc pas là.
Pourtant, la bascule Nanterre = Montargis n’a été possible qu’avec le rôle de ces jeunes, pour passer des jeux vidéo de guerres urbaines à la réalité. Détruire l’environnement que l’on aime va au-delà des attaques des figures d’autorité – mairies et commissariats -, de formation, de sport ou de foot. Il ne s’agit pas de se faire mal, pour montrer sa souffrance. « Jouer en vrai », passer de l’autre côté de l’écran, c’est ce que le sondage ne peut voir, lui qui s’occupe des « vieux » de plus de 18 ans.
Alors, comment traiter ces émeutes ? « Sérieusement », dans le monde des adultes, en faisant peur, en surveillant, en interdisant, en punissant, en allant jusqu’à la prison ? Ou « pas sérieusement », pour cette Génération Z née entre 1995 et 2010, qui joue sous masque contre la police, obéit aux caïds, casse les vitrines d’agences de banque contre la finance, et immobilières contre la spéculation, où vole deux baskets comme butin : simulacres. Mais, avec la mort de Nahel à Nanterre, les digital natives ont brisé leurs écrans pour « entrer » à un niveau de jeu supérieur : la vraie vie, au risque de la perdre. C’est la fureur de ne pas vivre.