Effet d'aubaine : cette obsession française qui empêche d'agir

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L'effet d'aubaine, c'est l'obsession de nos décideurs. Faut-il soutenir le logement, et comment ? Faut-il déduire de l'impôt sur le revenu les dépenses de services à la personne, et comment ? Faut-il réduire les charges sociales sur les entreprises ? Faut-il soutenir l’investissement des PME ? Faut-il mettre le pied à l'étrier à tel ménage, tel patron, tel jeune, tel investisseur ? Oui bien sûr répondent les experts, après analyse évidemment. Pas si sûr disent nos politiques ! Donc n’agissons pas, ou peu, ou avec d’extrêmes précautions.

 Effet d'aubaine : cette obsession française qui empêche d'agir

L’effet d’aubaine, c’est subventionner une décision qui aurait été prise par des entreprises ou des ménages. C’est donc commettre une double erreur dans l’esprit de nos dirigeants formés à l’ENA : première erreur, c’est dépenser de l’argent public pour pousser à une décision qui aurait été prise de toute façon, deuxième erreur, c’est réduire d’autant les ressources publiques disponibles pour les autres agents économiques, ménages ou entreprises, relativement plus pauvres.

Et si cette approche était fausse ? Fausse parce qu’elle oublie la dynamique économique et sociale de toute décision publique ou privée ? Comment savoir si untel va prendre une décision avant l’aide qui lui sera accordée, puisque il ne l’a pas encore prise ? Ainsi, déduire de l’impôt une part des dépenses de services à la personne, c’est aider les personnes âgées (pour le ménage, les courses, les soins) ou les jeunes (soutien scolaire). Souvent, personnes âgées et parents des jeunes peuvent payer. Avant ces aides, ces jeunes et ces « vieux » ne faisaient donc rien ? Évidemment que non ! Ils se faisaient aider, mais moins, mais plus au black. Et si, grâce à ces aides, le secteur des services à la personne allait se développer, et au grand jour ? C’est un secteur qui va croître, améliorant et garantissant ses prestations. Et ces entreprises et ces emplois vont payer plus d’impôts en retour !

En France, on compte que 40 % des personnes seules et 60 % des retraités ont recours aux services à la personne, pas les jeunes, ce qui s’explique plus par les besoins que par le revenu. Il n’y a pas aubaine, mais plutôt renforcement : la déductibilité des services explique leur explosion « officielle ». Le taux de recours aux services à la personne a ainsi plus que doublé entre 1995 et 2011, passant brutalement de 6 % à 14 % des ménages. Mais, comparé à d’autres pays, les services à la personne restent peu développés en France : 1 % du PIB contre 3 % dans les pays du Nord. On mesure le considérable multiplicateur d’emplois potentiels qui est ainsi lié à cette déduction fiscale… au moment même où elle vient de se réduire !

Même idée pour le logement : la loi Duflot permet de déduire 18 % de l’investissement pierre du revenu imposable mais… Mais c’est pour un investissement de 300 000 euros au maximum, pour une location de 9 ans minimum, pour des loyers inférieurs de 20 % aux prix du marché, pour un plafond de prix de 5 500 euros par mètre carré dans des zones délimitées (Paris, banlieue parisienne et grandes agglomérations françaises), et pas pour un ascendant ou descendant. On comprend qu’on ne trouve plus personne à aider ! A tel point que Marise Lienemann (sénatrice PS à la gauche du parti et ancienne Ministre du logement) propose d’étendre cette possibilité aux enfants de l’investisseur ! Pourquoi donc ? Parce que vouloir aider sans dépenser sous prétexte d’éviter tout effet d’aubaine fait empirer la situation. La crise du logement s’aggrave, alors que ce secteur est un des plus propices pour soutenir la reprise, l’emploi et nous sortir de déflation.

L’aubaine, c’est l’économie de la demande qui relance l’offre. Aider un secteur, c’est mettre le pied à l’étrier, côté demande, pour permettre le développement d’une activité privée (au grand jour et de qualité) côté offre. L’effet d’aubaine, à calculer bien sûr, est donc le début de toute politique économique, si on veut qu’elle fonctionne. Et alors elle rapporte au fisc : pour lui, c’est une aubaine ! Et alors, si le nouveau gouvernement regardait d’un autre œil ces grands secteurs maltraités, créateurs directs d’emplois et pas importateurs ?