C'est la version financière de l’Internationale des conservateurs, avec son nouveau logo. Reprenons en chœur : « du passé faisons table rase, en oubliant nos fautes et leurs séquelles financières et repartons gaillards, comme si de rien n’était ». On aura reconnu l’adaptation de l’« euthanasie des rentiers » en « prêteurs à taux négatifs pour risques croissants ».
Pourtant, la dette est plus subtile et compliquée que le capitalisme et son couple exploiteur contre exploité. Elle commence doucement, comptable et réparatrice. Comptable : la dette des uns est l’avoir des autres, c’est toujours vrai. Réparatrice : c’est parce que les entreprises sont moins rentables qu’elles doivent s’endetter plus, c’est vrai – mais seulement si ça ne dure pas. En effet, si l’entreprise ne se réforme pas assez vite pour refaire sa profitabilité, elle réduit d’autant l’investissement et l’emploi, avec des tensions internes croissantes. Elle perd pied. Le capitaliste affaibli s’incline devant le banquier privé et craint l’exploité, devenu syndiqué. Et s’il ne parvient pas à retourner la situation, la dette privée augmente et s’étend partout. La dette publique prend alors le relai. Comme la croissance privée est trop faible et les rentrées fiscales et sociales insuffisantes, l’Etat « doit » en effet compenser la panne d’activité. Notre capitaliste, incliné devant le banquier, s’agenouille devant le ministre.
La dette publique augmente alors, plus « agréablement » encore que la dette privée. Face à la récession qui menace ou à la stagnation qui s’installe, les entreprises demandent des aides et des soutiens, de grands travaux (« d’avenir ») pour épauler l’activité et rattraper le retard, avec leurs effets multiplicateurs sur l’emploi (keynésien) – comme il se doit. Les salariés et leurs syndicats sont d’accord avec cette démarche, quand ils ne demandent pas davantage d’emplois publics, d’appuis scolaires et sociaux, d’aides pour la santé, la réduction des inégalités et le soutien psychologique – si nécessaire dans ces temps si troubles.
La machine est lancée. Comme les réformes privées sont d’autant plus faibles que la dette publique est précisément faite pour les freiner, la croissance est molle. Ceci conduit les Etats à s’endetter plus, poussant à une inquiétude généralisée. La dette se fait politique : « la dette des uns est l’avoir des autres » devient « mais qui sont donc « les uns » et qui sont donc « les autres » ? Autrement dit : qui doit aujourd’hui, et qui payera demain ? Avec la dette qui monte, davantage privée et surtout publique, on nous jure que le « pacte social » est en jeu. A tel point qu’il devient transgénérationnel : ce ne sont plus « les autres » qui paieront, mais « les futurs ».
Trop, c’est alors trop : l’épargne liquide monte encore et l’investissement chute. La croissance s’arrête, bientôt l’inflation, puis les taux d’intérêt. Bien sûr, on peut toujours trouver paradoxal que la crise conduise les Etats à solliciter plus les épargnants en les rémunérant moins alors que le risque augmente. L’argent devrait être plus cher aux Etats-Unis « puisqu’ils peuvent payer » car leur situation s’améliore, et plus cher aussi en Italie ou en France « puisque c’est plus risqué ». Or l’inverse a lieu. Les pays plus risqués s’endettent moins cher que ceux qui le sont moins ! La France emprunte à 10 ans à 0,6 %, l’Espagne à 1,5 %, l’Italie à 1,6 % et… les Etats-Unis à 2 %. Qu’on ne dise donc pas qu’on ne prête qu’aux riches !
Mais il faut poursuivre ce rêve de la dette publique. C’est le travail des banques centrales. Aux Etats-Unis puis en zone euro, elles achètent des bons du trésor pour faire baisser encore les taux longs, donc les taux des dépôts, puis ceux des prêts. Comme les banques hésitent à prêter à 20 ans à 2 %, ce qu’on peut comprendre, les banques centrales prennent la relève. Les rentiers du XIXème siècle voient leurs successeurs du XXIème entasser volontairement des billets qui ne rapportent rien et financer les Etats à 0 %, sinon moins.
Continuons, évitons le réveil. Aux Etats-Unis, il faut que les taux remontent très lentement alors qu’ils auraient dû le faire depuis longtemps. En zone euro, il faut que la Grèce ne provoque pas de choc et révèle le Parthénon de dettes sur quoi tout ceci repose.
Aucune chance donc d’entendre de sitôt la vraie Internationale de la reprise et de l’emploi : Debout, les damnés de l’actif à augmenter ! Debout, les forçats de la croissance à faire revivre !