« Droit à la paresse » contre « droit au travail » : mais de quel Droit ?

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 « Droit à la paresse » contre « droit au travail » : mais de quel Droit ?

Faute d’idées neuves et de solutions, par ces temps de dérèglement climatique, de guerre d’Ukraine et autres tensions internationales, plus nos luttes internes, rien ne vaut les très vieilles querelles, pour détourner la conversation. Exhumer, avec Sandrine Rousseau à mi-septembre 2022, le « droit à la paresse » de Paul Lafargue, pamphlet publié en 1880, alimente ainsi les polémiques actuelles. Ceci a le triple avantage pour elle, écologiste qui outre le végétarianisme et la fermeture des centrales nucléaires, prône une réduction du temps de travail, de cliver les positions, sachant bien sûr que : « le travail est une valeur de droite ». Ceci s’oppose évidemment à la droite exploiteuse, avec l’idée de refuser la retraite à 65 ans, mais aussi aux socialistes de la IIème République comme Louis Blanc, auteur de « Le Socialisme. Droit au Travail » en… 1848 et à leurs trop mous successeurs. Ceci contre davantage encore les communistes actuels, plus soucieux d’augmenter les salaires pour manger plus de viande, que de faire la révolution.

Le travail « valeur de droite » ? Ce sont les communistes français qui répliquent, par l’intermédiaire du Secrétaire général de leur parti qui défend… le « Droit au travail ». Certes, on pourrait comprendre leur réaction si on lit le début du pamphlet de Lafargue : « une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste… Cette folie est l’amour du travail ». Impossible pour eux de ne pas y voir la critique, anticipée, du Manifeste du Parti Communiste de 1848 : « un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance… ». Bien sûr, on dira que celui qui semble se moquer par avance du texte de Marx et d’Engels, est le gendre de Marx ! Mais c’est un révolutionnaire qui critique surtout les durées folles du travail de l’époque : officiellement 10 heures par jour à Paris (11 en province) et 60 par semaine. Impossible alors de se reposer vraiment, d’entretenir sa santé, de se cultiver, de créer, de s’extraire de sa condition, bref de « paresser » – pour reprendre son titre provocateur.

Mais quand même, il ne faudrait pas oublier que la CGT est la Confédération générale du travail, pas du transat ! Elle défend ceux qui produisent, par opposition à ceux qui ne font que consommer, alias la bourgeoisie. En 1895, le congrès de la Fédération nationale des bourses du travail disait que ce dernier est le « créateur et unique source de toute richesse, de tout bien-être ». « Alors, j’assume. Je me bats pour une société qui se fixe comme horizon de garantir un emploi » écrit Fabien Roussel, secrétaire national du PCF ! Aujourd’hui donc, on ne cesse de relire les textes anciens sur le travail exploité et aliénant, ce qui n’empêche pas de parler en sus de petits boulots, de bullshit jobs ou de burnout.

Pendant ce temps, les entreprises cherchent des talents, à enrichir les tâches et à offrir des perspectives de carrière : mais motus ! Ce ne serait pas mal, non plus, de parler de travaux participatifs, d’innovation et de prise de risques, autrement dit de nouveaux produits et services, donc du nouveau travail qui émergera, avec plus de services liés. Motus ! De voir comment l’ordinateur change tout, et menace surtout maintenant la masse des emplois intermédiaires peu qualifiés, après la vague de mécanisation des années soixante : ce serait moins médiatique, mais plus utile, de parler de formation. Motus !

Surtout, ces joutes font passer à côté de l’essentiel : l’insertion du travail dans un monde qui change. Nous ne pouvons plus « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature », comme le proposait ce cher Descartes. Nous sommes devenus dépendants de la nature. La croissance, donc l’augmentation du travail, n’ont de sens qu’avec des activités compatibles avec l’habitabilité de ce monde en changement climatique, avec moins d’eau, peut-être d’électricité, pas assez de lithium et plus de communications. Attention donc, si nous pensons plus aux hausses de salaires qu’aux nouvelles offres de produits et services, avec des organisations et des comportements compatibles avec cette Terre.

« Droit à la paresse » contre « droit au travail » : mais de quel Droit ? De celui de vivre, tout simplement, en cessant de jouer à la guerre des armes et des mots, pour oublier ce qui s’avance et qui est annoncé depuis cinquante ans.