Deux Nobels d'économie : on en fait quoi ici ?

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William Nordhaus (né en 1941) et Paul Romer (né en 1955) : voilà les deux Nobels d’économie 2018, américains. Nordhaus enseigne à Yale, à une heure et demie de New York, Romer à New York University. Trop loin pour nous ? Nordhaus a été primé pour avoir intégré le réchauffement climatique à la croissance, en cherchant à le maîtriser, Romer pour avoir intégré les idées et l’innovation à la croissance, en se demandant comment la renforcer. Trop loin de nos soucis ?

 Deux Nobels d'économie : on en fait quoi ici ?

Pas vraiment. L’un et l’autre sont favorables à la croissance à long terme, mais ni l’un ni l’autre ne sont naïfs. Nordhaus calcule depuis longtemps (premier papier marquant en 1974) comment la croissance a, aussi, des effets externes négatifs, par le réchauffement climatique. Il cherche à corriger cette dérive. Romer calcule depuis longtemps, aussi, (premier papier maquant en 1990), comment la croissance bénéficie des idées et se fait en large part grâce à elles, avec des effets externes positifs à encourager, et des dérives à endiguer. Comment donc stimuler et corriger les marchés ?

Pour Nordhaus, c’est obligatoire. Si rien ne se passe, avec la croissance et le CO2 qu’elle engendre, la température moyenne dans le monde montera de plus de 4° d’ici à 2100. Bonjour sécheresses, ouragans, famines, migrations et hausses de prix ! Mais si on taxe graduellement le carbone depuis 29,5$ la tonne en 2015 à 153$ en 2050, nous aurons « seulement » 3,5° de plus, nous dit William Nordhaus. 0,5° en moins que la tendance ? Cela paraît peu, pour cher. C’est donc si difficile de corriger ce réchauffement ? D’autres travaux menés en Angleterre sous la houlette de Nicholas Stern vont plus loin. Pour faire vraiment chuter les émissions de dioxyde de carbone, il faudrait en taxer la tonne de 184$ en 2015 à 1 008$ en 2050. La hausse de température sera alors limitée à… 2,5° ! Un degré de moins qu’avec Nordhaus, avec six fois plus de taxe. C’est donc résistant !

Pour Romer aussi, il est obligatoire de stimuler et de corriger les marchés. Si la croissance donne des idées qui donnent de la croissance, il faut que la croissance donne plus d’idées ! Le grand avantage des idées est qu’elles sont utilisables par tout le monde sans problème. Mais le hic est qu’il est cher d’en trouver. Pour qu’une entreprise investisse en R&D, il faut qu’elle le veuille et surtout le puisse, autrement dit gagne assez d’argent. Et si elle trouve un produit ou un procédé nouveau, elle va le breveter pour rentrer dans ses frais. D’idée en idée, de brevet en brevet, elle se développe, la croissance avec. Mais l’idée risque d’être tellement brillante qu’elle peut dominer le marché, en devenant en plus très peu chère à diffuser : Windows coûte une fortune à mettre au point, très peu à améliorer d’une version à l’autre. Ses profits montent, créent un monopole mondial, ce qui freine la croissance ! Subventionner les idées pour qu’elles naissent, d’accord. Surveiller les abus de position dominante, d’accord aussi !

Et nous ? En matière de réchauffement, nous savons qu’il faut améliorer logements et bureaux, conduire moins vite. Nous savons aussi que notre électricité vient du nucléaire, qui n’émet pas de gaz à effet de serre. Pour autant, nous aimons le solaire et l’éolien, qui sont chers et marchent… quand il fait soleil et vent, pour nous fournir 6% de notre électricité en été ! Nous sommes très peu émetteurs de gaz à effet de serre, c’est bien. Sauf si nous fermons les centrales nucléaires et les barrages pour nous chauffer au gaz, en regardant les pales des éoliennes, immobiles faute de vent, victimes du réchauffement.

En matière d’idées, nous sommes contents de nos startups et de nos leaders. En 2017, la France est deuxième à déposer des brevets en Europe, avec 10 559 dossiers, derrière l’Allemagne… avec 25 490. La France se distingue dans les transports et le médical. Avec 598 demandes en informatique, elle est aussi deuxième en Europe, quoique loin des 4 446 demandes américaines. Romer dirait que les brevets sont fonction de la population, c’est assez vrai, et de la rentabilité des entreprises, c’est très vrai.

Bref, pas sûr que nous suivions les messages de ces deux Nobels. Que nous soyons convaincus que le nucléaire nous donne un avantage économique et climatique durable. Que nous soyons désireux de pousser à la recherche PME et startups, de permettre aux inventeurs de s’enrichir, et à nous tous de vivre mieux. Invitons ces deux Nobels à discuter avec nos gilets jaunes !