Des Jeux, puis de la Peine

- Ecrit par

Nous ne sommes plus, en France, dans la Rome du Pain et des Jeux. Les deux à la fois. Le matin, nos Romains vont voir les gladiateurs se battre et mourir, les Chrétiens se faire manger. Le spectacle est quasiment gratuit. L’après-midi, ce sont les thermes, gratuits. L’on s’y détend, sue, s’y lave, discute et joue. Puis on rentre chez soi pour faire la fête, jusqu’au lendemain. Et ainsi de suite. Le Pain venait des blés d’Espagne et de Tunisie, arrosés en ces temps lointains. Par malheur, la chute de Rome, saccagée par ces Germains sérieux, travailleurs, épargnants, donc barbares, met un terme à ces joyeusetés. Nous sommes en 410.

 Des Jeux, puis de la Peine

1614 ans plus tard, nous comptons les médailles, mais plus les morts (ici). Nous ne comptons plus les sesterces, qui ont disparu, mais pas les 500 millions d’euros qu’il nous faut attirer ici chaque jour pour faire tourner notre machine publique et sociale, et importer. Faute de Wisigoths, les agences de rating nous menacent d’un moindre accès aux financements et Bruxelles veut nous rationner. Comment osent-ils ? L’effort d’économie de 20 milliards d’euros que nous proposons ne suffirait donc pas, sous prétexte que nous avons un déficit de 160 !

Après les Jeux, viendra sans doute la Peine. Nous ne sommes plus à Rome, cet heureux temps où Jeux et Pain allaient ensemble. Les bons du trésor et les marchés financiers sont entrés dans l’arène. Il faudra commencer à rembourser, sauf si un ou une Premier(ère) ministre veut changer les règles de l’épreuve, notamment celles de Bruxelles. Bonne chance pour convaincre ! En plus, il (ou elle) veut augmenter les bas salaires, embaucher des fonctionnaires, s’occuper des retraités (d’aujourd’hui) et payer le tout par des hausses de l’impôt sur les plus riches.

Des calculateurs remarqueront alors que ces hausses de salaire vont se retrouver dans les prix. De fait, sur un an, l’inflation a atteint 2,2% en France, dont 1,2% vient des « autres services » (soins, services à la personne, hébergement, restauration…). Et comme les services ne connaissent pas de gains de productivité, ces augmentations « de relance » pèseront d’abord sur les profits, donc l’activité, puis sur l’emploi. Puis : c’est le mot, car l’effet immédiat de la hausse des bas salaires est plutôt positif, avant que ne pèsent en sens inverse les taux, les marchés, qui freinent l’investissement, puis l’emploi.

Ce sera alors la Peine, d’autant plus durable que la dette du pays est importante. La dévaluation est impossible puisque le Franc a laissé place à l’euro : nous ne sommes plus en 1981 ! Pire, tous les pays de la zone euro sont en concurrence pour profiter de cette bouffée française de demande, dans un marché des biens, des services et de la finance plus intégré que jamais. La hausse des salaires augmentera nos coûts et baissera notre compétitivité… sauf si notre économie rebondit.

Sauf si. Ce rebond est l’espoir de cette politique, où il s’agit de passer d’une économie de l’offre, autrement dit de l’effort et du risque à une économie de la demande, où le travail se borne à la satisfaire. Le sens de la machine qui tourne normalement de l’offre à la demande en serait inversé. Quand même, il faudra payer les dettes : pas facile. En effet, pour sortir de la trappe où le coût réel (après inflation) de l’emprunt dépasse la croissance, il faut réduire l’écart entre la dette et le PIB et revenir ainsi à un niveau « soutenable », donc ne jamais sortir du contrôle des autorités. Elles encourageront l’activité (l’offre ?) et contrôleront la dépense publique (la demande ?).

Si l’opération échoue, les prêteurs fuient, les taux montent et mènent au défaut de paiement. Pour l’éviter, il n’est pas d’autre voie que de commencer par obtenir un excédent primaire, un excédent avant paiement des intérêts sur la dette. Cela veut dire plus de croissance et moins de dépenses, et de maintenir ce résultat pendant des années. Lui seul permet le désendettement. Nous n’y sommes pas, avec un déficit primaire de 3,5% du PIB en 2023 plus 2% de charges d’intérêt. La France s’endette pour payer les intérêts de sa dette. Qui le dit ?

Pire, il nous faudra bien plus de compétitivité pour obtenir assez de croissance et d’emploi et faire face, en sus, aux charges du vieillissement, de la transition écologique et des dépenses militaires. Si les choses se passent mal, on calcule que 7% du PIB sont en jeu en 2070. Sans efforts, nous ne tiendrons pas.

Après les Jeux, la Peine puis ce sera la Liberté !