Bientôt 1,5 millions de cas et 100 000 morts, mais cette pandémie n’est pas une guerre. Elle n’a pas été voulue par une puissance contre une autre. Il n’est pas question de demander des « dommages » aux chauves-souris de Wuhan. Nous ne sommes plus au Traité de Versailles, où le prix trop élevé demandé à l’Allemagne a davantage permis la montée du nazisme que la reprise. Nous ne sommes pas en 1945, où les États-Unis étaient les gagnants et les plus riches, ce qui leur a permis de lancer et financer le Plan Marshall. C’était pour des raisons humaines et économiques certes, sans doute dans leur intérêt (poursuivre leur croissance, en passant à une économie de reconstruction) et aussi pour des raisons politiques (éviter le communisme en Europe de l’Ouest).
Aujourd’hui, les économies s’effondrent partout et sans bombes, avec leurs cortèges de faillites, de chômage et d’explosion des déficits budgétaires. Nous avons trois possibilités :
- laisser faire les ajustements économiques : « plus ça baissera, plus vite ça remontera ! »,
- encourager les banques à faire des crédits et les États à accroître leurs déficits, mais en mesurant de très près. Ça remontera moins, mais les cigales seront quand même punies.
- laisser les banques et les États plus libres d’agir avec des règles assouplies. Ça remontera plus vite, on comptera et verra après les leçons à en tirer.
Laisser faire est impossible. Les chiffres américains du chômage donnent la mesure de la réponse des entreprises : 700 000 emplois perdus en mars par rapport aux 250 000 gagnés en moyenne les mois précédents. Le virus tue plus les emplois que les humains. La demande s’arrête, les entrepreneurs ne voient plus rien. Ils coupent leurs frais, notamment salariaux. Le chômage est « la solution » de chacun mais « le problème » de tous, tant il alimente les peurs.
Contrôler et mesurer au plus près est contreproductif. Personne ne sait quand viendra le pic de la crise sanitaire, moins encore comment viendront des résurgences (on en voit en Chine), avec d’éventuelles mutations du virus. L’idée d’une « borne » aux déficits ou aux octrois de crédits est exactement comme dire qu’on va, demain, limiter les ventes de pâtes par personne : tout le monde va se ruer pour en acheter, trop, par avance ! Demain, il n’y en aura plus, notamment pour ceux qui en ont besoin. On voit aujourd’hui se produire une ruée sur les obligations d’entreprises et sur les crédits, pour les entreprises les mieux notées bien sûr. Pour elles c’est moins cher. Pour les autres et après, elles verront. Déjà viennent les agences de rating. Elles mettent « sous observation négative » les États fragiles et déjà endettés, les entreprises qui n’ont pas beaucoup de liquidités (elles n’avaient pas les moyens de s’endetter par avance !), avant de les « dégrader », comme à la guerre. Limiter les déficits, s’inquiéter de la montée des crédits, c’est contingenter les masques ! En zone euro, c’est risquer de tout faire exploser.
Laisser augmenter les crédits et les déficits est donc la seule solution. Et à ceux qui demandent : « qui paiera » ? Il faut répondre : l’État et la BCE. Aujourd’hui, l’État finance une bonne part des salaires, décale les impôts et les charges et garantit des crédits aux entreprises. Il fera plus si nécessaire, en vérifiant que personne ne triche. Et demain ? Pour les entreprises et les ménages qui n’ont pu résister, les crédits perdus seront pris en charge par les banques et les États, sachant que la Banque Centrale Européenne est toujours là. Car, après, quand il faudra financer la reprise, les stocks, les salaires et vendre en attendant d’encaisser, les banques devront être là.
Alors, comment payer plus tard ? En créant un compte budgétaire spécial : « Dette COVID-19 ». On y logera, après vérification européenne, les milliards d’euros que la pandémie aura fait peser sur la France et ses voisins. Et ces milliards seront rachetés par la BCE, à 0%, sur 100 ans et remboursables à l’échéance. Bien sûr le bilan de la BCE va devenir énorme. Donc, chaque État mettra de côté chaque année un peu moins d’un pourcent de la somme, qu’il placera, pour rembourser à la lointaine échéance. Ainsi sera garantie la qualité de la créance de la BCE et l’euro tiendra.
Pandémie n’est pas guerre. Gare à vouloir punir ceux qui n’y sont pour rien ou à taxer les riches. Demander vite « réparations » pour ses coûts humain, économique, financier et politique, c’est perdre deux fois.