Décroissance : c’est, intellectuellement, ce qu’il y a de plus facile à proposer. Qu’importent les effets sociaux et économiques concrets du slogan ! Sachant que les changements climatiques en cours sont davantage imputables aux activités économiques qu’à des lois de la nature, il faut les réduire. Simple. La voiture continuant à polluer, s’obstinant à utiliser de l’essence, cessons d’en produire. Moins de cause, moins d’effet : simple. Mais on nous assure que la voiture électrique aura besoin de lithium pour ses batteries, sans compter les bornes de recharge en ciment. Pas simple. Bientôt des véhicules fonctionneront à l’hydrogène ? Moins simple encore car, là aussi, il faudra de l’électricité, peut-être même davantage. Allons-nous vers des villes plus resserrées, plus denses ? Vers des usines, mais moins, autour de vastes prés sans vaches, desservies par trains ? Et moins d’enfants partout ?
Caricatural ? Sans doute. Mais comment se figurer le futur lointain, sans informations équilibrées sur cette mutation d’ensemble, avec ses risques, ses coûts et plus encore ses choix difficilement réversibles ? Que deviendront les maisons isolées, les hameaux, les usines d’automobiles « classiques », leurs ouvriers, les paysans ou les bouchers ? Impossible de répondre, tant la décroissance est sans doute la politique la plus globale, la plus aveugle que l’on entend partout, et donc la plus dangereuse. Mais au moins pourrait-on dire qu’elle ne sera pas simple !
Sobriété ? Un peu moins de nourriture et de vin, nous disaient les Romains. Mais dans quelle proportion ? Par malheur, l’économie n’est pas continue. Pour acheter moins cher, il faut aujourd’hui des usines ou des magasins plus vastes, des réseaux plus étendus : partout les rendements croissants exercent leur loi. Ces grandes tailles devenues nécessaires rendent souvent impossibles des diminutions graduelles d’activité. Si l’on entend être sobre du côté de la demande, en la réduisant, l’offre impliquera de son côté des tailles minimales. Partout les frais fixes augmenteront, avec la recherche, plus aujourd’hui les normes de sécurité sanitaire et écologique. Réduire les volumes fera exploser les coûts marginaux de production et de distribution, donc les prix, et précipitera producteurs et distributeurs dans des difficultés.
Pour sortir de ce traquenard, il faut absolument piloter la sobriété pour éviter la hausse mécanique des coûts et le chômage dans les entreprises qui ne pourront les faire passer dans leurs prix. Pour cela, il faut donner au moins un prix à long terme qui pilotera l’ensemble : celui du carbone, et sur l’Europe entière, avec des normes précises pour éviter des importations lointaines et hors la loi. Pour être plus sûr encore du changement des comportements, il faut intégrer les décisions économiques des moyennes et grandes sociétés dans leurs comptes, avec une double comptabilité intégrant ce prix théorique. En fonction de ce prix du carbone, toute société pourra ainsi calculer combien elle investit pour économiser du carbone et combien elle fait économiser à la société dans son ensemble et le dire à ses actionnaires et à ses clients. De proche en proche, cette logique se développera grâce au marché des crédits carbone. Il devra être mieux connu et convaincre, à la fois les investisseurs et les clients. Nous n’y sommes pas… encore.
Adopter alors un comportement plus rationnel ? Oui, pourquoi pas ? On peut toujours le supposer kantien : « ne pollue pas chez autrui, par tes comportements ou tes achats, plus que tu voudrais qu’il ne pollue chez toi ». Mais comment le mettre en pratique : acheter un vêtement fait au Bangladesh pollue-t-il plus que celui fait en Europe ? Comment calculer, comment savoir ? Un vêtement plus résistant est-il moins polluant sur sa durée de vie qu’un autre, plus fragile ? Faut-il cesser de suivre la mode ? Et que faire pour les nouveaux modèles annuels de voiture ou d’ordinateur ? Comment être « sobre » sans être « décroissant » ? Et comme la morale, étant individuelle, n’augure rien de son résultat final, que donnera ceci, pour tous ?
La sobriété, c’est la raison éclairée par le calcul pour aider nos comportements. Mais ceci ne veut pas dire qu’on suivra aveuglément les algorithmes. Les calculs sont améliorables, sont-ils généralisables ? Et on pourra dire que l’irrationalité est, aussi, une manifestation de la liberté. L’ennui naît de l’uniformité, même rationnelle : sobre oui, triste non !