C’est peu de dire que nous ne savons pas où nous allons. Les uns diront que c’est parce que nous ne savons pas d’où nous venons. Il faudrait davantage fouiller l’histoire, explorer nos tendances profondes pour figurer notre avenir. Non, inutile selon les autres, qui protestent. La géopolitique a pris le pas sur l’économique, et plus profondément les passions sur la raison. Tout est devenu possible : l’histoire n’a plus de sens puisque tous les complots sont permis. De fait, il nous faut admettre que l’intelligence dite artificielle, elle qui sait tout ce qui a été écrit, ne nous aide pas beaucoup. Surtout au moment où la question décisive se pose pour l’Europe entre Chine et États-Unis : comment rester une « puissance d’équilibre » entre ces deux mastodontes ?
De fait, la pirouette bismarckienne : « dans les systèmes à trois puissances, il faut être l’une des deux », ne nous est pas d’un grand secours. Faudra-t-il que l’Europe, avec sa civilisation, disparaisse ? Ou qu’elle pousse encore la Russie dans les bras de la Chine, déséquilibrant davantage l’architecture mondiale, pour mieux manifester sa nécessité ? Ou encore attendre la fin des dictateurs russe et chinois pour revoir et élargir son message d’équilibre, en l’adressant cette fois à la Turquie et à l’Afrique ? Ou encore qu’elle hiberne pendant l’ère trumpienne qui viendrait ? Et après ?
Dans tous les cas rien n’est simple, d’autant que le concept de « puissance d’équilibre » ne l’est pas. « Puissance » : vous en êtes bien sûr ? « Équilibre » : de quoi, comment et avec qui ? Pendant ce temps, la Chine avance avec la Russie en lui achetant son gaz et son pétrole. La Chine devient de plus en plus présente en Amérique latine et en Asie, par trains et ports interposés. Elle intervient derrière la Russie en Afrique, les deux étant intéressés par ses vastes richesses minières, la Russie prenant à sa charge les actions belliqueuses que ceci implique.
C’est toujours la Chine qui élargit les BRIC à l’Afrique du Sud, puis maintenant à l’Arabie saoudite, à l’Égypte, aux Émirats arabes unis, comme à l’Éthiopie et à l’Iran. Ce sont désormais les BRICS+ qui la suivent, avec d’étroits liens avec l’OPEP+ : toujours + ! Le temps n’est donc pas (plus ?) où les États-Unis gouvernaient le monde des armes, des mers et de la finance. Ils doivent coopérer avec ces émergents, en faisant attention à ne pas se faire dépouiller de leurs idées, ou bien rapatrier chez eux ou chez des alliés sûrs les produits, productions et talents qu’ils jugent décisifs. Mais ce sera plus cher. « Dans les systèmes à trois puissances », il n’y en aura bientôt que deux !
Dé-dollariser : pour les BRICS+ et OPEP+, ce sera faire du yuan la monnaie de circulation, celle dans laquelle on compte et paye, tandis que le dollar sera celle que l’on garde en réserve. Mais cette monnaie américaine sera plus scrutée que jamais, puisqu’elle est la seule réserve mondiale de valeur, d’autant qu’elle vient de la dette des États-Unis. Deux scrutations dont la Chine ne veut absolument pas, pour elle. Pas de dé-dollarisation donc, mais un Dollar dé-coupé !
Dé-démocratiser : oui bien sûr. Peu des membres de ces BRICS+ et OPEP+ sont connus pour leur goût des élections. Dé-démocratiser, ce serait pour eux stabiliser car sortir de l’instabilité qu’amène le vote.
Dé-occidentaliser vient alors chez les BRICS+ et OPEP+. Pour eux, c’est le « Sud global » qui compte. Ce n’est évidemment pas d’un regroupement géographique qu’il s’agit mais d’un rapprochement politique pour contester les valeurs de l’Occident autour de l’égalité des conditions, des sexes, des races… pour permettre, en moyenne, celle des devenirs. Avec le « Sud global » vient la « majorité mondiale » : la machine russe à concepts ne s’arrête pas. Pour elle, dé-occidentaliser, c’est dé-sunir.
Il nous faut cesser de décrire tout ce que nous voyons : rixes, meurtres, occupations de facultés, drogue, atteintes à la laïcité ou aux lieux de culte, voire viols, comme des faits isolés. C’est un même phénomène qui œuvre : l’attaque de 25 siècles de pensées gréco-romaine et judéo-chrétienne.
Terribles, ces feux d’écoles ou de gymnases, de tous ces biens communs, comme si plus rien ne devait l’être. Pourquoi incendier, quand on veut un emploi et des augmentations de salaire ? Quel spectacle pour ceux qui manquent de tant de choses ? Dé-faire, dé-construire… quand allons-nous cesser de nous détruire, pour… re-démarrer ?