David Ricardo à la radio

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Miracle de la technique, nous avons contacté ce grand économiste britannique qui nous a quittés le 11 septembre 1823. Il est mondialement célèbre, et (mondialement) contesté. La plus violente controverse, qu’il a lancée, concerne les rapports entre dette publique et épargne nationale…

 David Ricardo à la radio

La radio :

Monsieur Ricardo, c’est un très grand honneur d’avoir votre voix ce matin. Savez-vous qu’on ne parle que de vous ici, 202 ans après votre mort ?

 

David Ricardo :

Vous me flattez, de quoi s’agit-il ?

 

Lr :

De la situation française actuelle ! Les Françaises et les Français ont de plus en plus de dette publique, 3350 milliards d’euros, avec en même temps de plus en plus d’épargne : 6900 milliards d’euros de patrimoine financier brut, sans Premier ministre ni budget sûrs pour 2026. Nous avons un taux d’épargne historiquement élevé de 18,9% du revenu disponible, sans savoir ce qui va se passer dans une semaine. Donc nous épargnons plus que jamais.

 

DR :

Et oui, c’est même ce qu’on a nommé : « l’effet Ricardo », en souvenir de moi ! Les Français épargnent par ce qu’ils s’inquiètent du futur et craignent d’avoir à payer plus d’impôt. Ils ont peur, ce qui est rationnel.

 

Lr :

Peur oui : ils écoutent la radio. Rationnels, c’est à voir : vous ne croyez pas à une crise financière, avant même de payer plus d’impôt pour la résoudre ?

 

DR :

Résoudre ! Je regarde les chiffres financiers qui me parviennent, n’oubliez pas que ce fut mon premier métier. Vous avez aujourd’hui cette épargne « ricardienne », si vous me permettez le qualificatif. Alors, si aucun message de stabilisation n’est diffusé, avant que le Parlement ne vote les nouveaux barèmes d’impôts, il y aura fuite des capitaux vers un pays mieux géré — ou des achats d’or. L’or est la meilleure des garanties pour limiter les déficits et l’impression de billets.

 

Lr :

C’est sans doute pourquoi Keynes a dit de vous dans sa Théorie Générale : « Ricardo conquit l’Angleterre aussi complètement que la Sainte Inquisition l’Espagne ». Ce n’était pas très gentil !

 

DR :

C’était surtout inexact, comme toujours avec lui, mais il n’avait pas son pareil en pub, comme vous dites. Car c’est bien la politique monétaire keynésienne, par la demande, qui explique ce qui vous arrive, et partout. Regardez ce qui se passe chez vous : en France, le 10 ans est à 3,5%, mais le 30 ans à 4,5% seulement, si je peux dire, car ceci ne durera pas. Preuve : ce même 4 septembre, le trésor français a cherché 7 milliards à 10 ans et les a trouvés pour 3,6%, plus 1,8 milliard à 30 ans, à 4,4%. Attention !

 

Lr :

Et chez vous ?

 

DR :

En Angleterre, le 30 ans est à 5,7%, le plus haut depuis 1999. Ailleurs, le 30 ans américain atteint 5,6% et le 20 ans japonais à 3,3%, le plus haut depuis 1998.

 

Lr :

C’est l’horreur ?

 

DR :

Non, c’est le début. Tous les taux longs vont monter, si on cherche plus d’épargne que l’activité n’en produit. Mais ils vont vite baisser si vous augmentez les impôts : ceci vous mènera en récession.

 

Lr :

C’est l’horreur !

 

DR :

Soyez moins émotif. Je suis un « économiste classique », comme on dit dans vos livres, car je vois les choses à long terme, du côté de l’offre.

 

Lr :

Là où on est tous morts ?

 

DR :

Décidément, la Sainte Inquisition keynésienne est plus vivace que le Ricardisme : la domination du court terme n’est pas faite pour sortir le peuple du chômage, mais les politiciens d’embarras. Regardez le résultat. Regardez aussi : on a beaucoup critiqué ma théorie des avantages comparatifs, où je disais que l’Angleterre avait intérêt à se spécialiser dans les machines et le Portugal dans le blé. J’ai entendu que j’oubliais que machines et blé n’avaient pas le même « poids » économique et stratégique pour se développer et, plus encore, pour faire la guerre.

 

Lr :

La Communauté Charbon Acier, base de l’Europe, c’est vous !

 

DR :

Ne vous moquez pas. Voir à long terme, c’est étudier l’évolution des peuples, des démographies, des concurrences en préférant la combinaison à la confrontation.

 

Lr :

Et l’Ukraine, ce sont les terres rares et le blé, la Russie, le pétrole et le blé, face aux machines européennes et américaines d’un côté, chinoises de l’autre ?

 

DR :

C’est cela. Je me suis beaucoup trompé en travaillant à long terme, mais au moins j’ai essayé.

 

Lr :

Aujourd’hui, êtes-vous très inquiet pour nous ?

 

DR :

Oui, si vous n’acceptez pas que l’économie est « une science sinistre », du long terme, et si vous continuez à penser que ce qui a été est « acquis ».

 

Lr :

Vous ne serez jamais élu.

 

DR :

Je ne suis pas candidat.

 

Lr :

Merci, à dans 202 ans !